La 2e compagnie du 124e à Virton

 

 

 

Il peut être fort instructif parfois de comparer divers témoignages relatant le même épisode. C'est ce que nous nous proposons de faire avec l'engagement de la 2e compagnie du 124e régiment d'infanterie de Laval à Virton le 22 août 1914. Un nouveau témoignage publié récemment par l'Association Bretagne 14-18 permet de se faire une idée plus juste de ce combat. Il s'agit du récit du sergent-major Maunourri, chef de section à la 2/124. En parallèle, nous examinerons les témoignages du caporal Alfred Joubaire et du lieutenant Hassler, tous deux également membres de la même compagnie. L'ouvrage du commandant Grasset sur la bataille de Virton nous servira de fil rouge.

 

Encadrement de la 2/124 le 21 août 1914 :

 

Capitaine Mouraux commandant la compagnie

1ere section lieutenant Jeannel

2e section sergent-major Maunourri

3e section adjudant Surzur

4e section lieutenant Hassler

 

 

1- Cantonnement du vendredi 21 août.

 

Le lieutenant Hassler note :  « Vers 7h00 départ pour Arnoncourt. (…) Après avoir passé le pont, nous stationnons dans un village pendant 1 heure et demie. Réception cordiale, touchante des Belges. Des jeunes gens distribuent à nos hommes des cigares, du café au lait, des confitures. Tout cela dans un pêle- mêle émouvant. Enfin nous reprenons notre marche et nous allons prendre une formation de halte gardée en plein champs près d'Arnoncourt. Un orage violent nous y surprend ! Nous restons là environ 2 heures, puis nous allons cantonner dans le village d'Arnoncourt ».

 

Le sergent-major Maunourri est plus précis. Il évoque un départ à 4h45 et indique le nom du village traversé : Lamorteau. « On repart enfin. Personne ne pense plus à la guerre depuis le réconfortant spectacle de Lamorteau. Vers 16h00, le bataillon pénètre dans Harnoncourt : le drapeau belge flotte à la pointe du clocher. Les hommes sont éreintés et personne ne songe à parcourir le village. Quelques escouades, plus vaillantes, font la soupe. Mes préoccupations, comme comptable, ne me laissent guère le temps de m'occuper de mes hommes. Le temps devient orageux. De gros nuages couleur de suie nous menacent déjà, avant d'entrer dans le village, une averse nous a surpris en plein champ dans une formation articulée. La 4e compagnie est de service aux issues. Il pleut violemment à la nuit ».

 

Alfred Joubaire ne dément pas ses camarades. A Lamorteau, « l'accueil dépasse tout ce qu'on peut imaginer. On nous donne en passant du vin, de la bière, du beurre, du lait. La joie rayonne sur tous les visages de ces pauvres Belges dont nous sommes le suprême espoir » (…) « A 15h45 on arrive à Harnoncourt. C'est là qu'on doit cantonner. Je suis très fatigué ; aussi le lieutenant J … (Joubaire parle sans doute du lieutenant Jeannel) me recommande t-il à un habitant chez qui je couche ».

 

 

2- Samedi 22 août 1914, bataille de Virton

 

D'après Grasset, le 124e a été alerté à Harnoncourt à 3h20. Hassler ne mentionne pas d'heure. Pour Joubaire, « A 3h00, debout. On est plein d'enthousiasme et de confiance ». Maunourri confirme : « 3h00. Tout le monde est prêt. On vient de prendre le café ; les hommes sont gais, chantonnent, plaisantent ; dans les rangs règnent la bonne humeur et la confiance ». Cependant, celui-ci se plaint de se que son commandant de compagnie (Mouraux) ne l'a « jusqu'à ce jour, mis au courant de rien. Très obligeamment, les lieutenants Jeannel et Hassler me tuyautent quand ils savent quelques chose car, eux aussi, sont souvent dans l'ignorance des événements ou des mouvements ».

Maunourri ajoute : « 4h00. Départ dans l'ordre normal des sections vers St-Mard qui est atteint une heure après. Le brouillard est de plus en plus épais, il fait froid et à peine jour » (…) « Des arrêts des à-coups et des ralentissements se produisent dans la colonne toujours en bon ordre. Près d'un couvent, des religieuses de St-Charles distribuent du lait, du chocolat, du café chaud aux soldats qui, avidement, tendent leur quart ».

 

Dès 6h30, les bataillons du 124e atteignent Virton. Le 3e est en tête et prend position autour des dernières maisons de Virton, sur la route d'Etalle. Le 1er se masse dans les rues de la ville et le 2e est en retrait sur la route de Dampicourt. La 2e compagnie est en position d'attente. Les premiers blessés des 115e et 130e RI déjà engagés affluent.

Hassler note : « On engage la division. Les mitrailleuses allemandes crachent. Nous voyons alors défiler quantité de blessés. Et ceci attriste les hommes ».

Même sentiment chez Maunourri : « Bientôt des blessés arrivent du champ de bataille. Un lieutenant du 130e, couché sur un brancard, pousse de faibles gémissements. Il a reçu une balle dans l'aine, le sang coule sous la toile du brancard. La vue de cet officier blessé fait courir un frisson chez nos hommes toujours calmes et silencieux ».

Pour Joubaire : « On voit passer des blessés, les uns au bras d'un camarade de combat, les autres couchés sur des brancards, tous ensanglantés et livides. J'aide un blessé du 130e à monter dans une salle de l'hôpital tenu par des sœurs françaises ».

 

Peu après 8h00 le 124e est engagé. Le 3e bataillon, en tête, est lancé dans la bataille. Afin d'appuyer le mouvement du 1er bataillon (qui doit se porter à droite du 3e), la 2e compagnie reçoit pour ordre d'occuper le cimetière et d'en faire un point d'appui pour soutenir l'action du bataillon en terrain nu.

 

Hassler décrit l'action : « Enfin on part. Nous allons nous engager au feu. Je reçois l'ordre d'aller occuper avec une demie-section la route qui passe derrière le cimetière. J'y vais et fais coucher mes hommes. Tout autour les balles sifflent et s'aplatissent sur le mur derrière nous. Quelle sale impression ! Elles retombent à nos pieds. Je suis debout, j'entre dans le cimetière, et vite je fais amener des charrettes, des planches, des tables pour organiser le mur qui est trop haut. A ce moment nous sommes rappelés en arrière ».

Le sergent-major Maunourri confirme : « La compagnie a pour mission de se tenir en réserve dans le cimetière. La 1er demie-section achevait à peine son mouvement que je vois refluer vers moi la section Hassler. N'allez pas plus loin, me dit cet officier, entrez dans le cimetière, même formation dans le déploiement. Et l'on pénètre dans le cimetière, la section Hassler déployée derrière le mur nord, ma section la protégeant à droite. Les sections Surzur et Jeannel viennent bientôt nous rejoindre. Les hommes, que cette première fusillade surprend plutôt qu'elle n'effraie, se blottissent contre le mur, sans un mot ».

Joubaire précise : « Nous en avons organisé le mur défensivement en faisant des créneaux ; comme le mur est élevé, nous avons amené des tonneaux sur lesquels nous avons posé des planches ; nous montons dessus. Soyez sans crainte, nous dit le lieutenant Hassler, il faudrait une balle sur mille pour vous atteindre. D'ailleurs, je ne leur en donne pas pour une heure avant d'être tous faits prisonniers dans ce bois ».

Maunourri indique que « le mur est organisé défensivement sous la direction du lieutenant Hassler qui fait percer des créneaux à coup de pic. Sur son ordre je vais quérir dans les maisons voisines des tonneaux et des planches pour nous permettre de tirer par dessus le mur en cas de besoin ». Il reprend également mot pour mot la phrase dite par le lieutenant Hassler.

 

L'offensive des 2e et 3e bataillons à été brisée vers 9h00. Les hommes de la 2e compagnie, solidement installés dans le cimetière, suivent le choc de l'assaut. Joubaire écrit : « Soudain notre charge retentit et couvre le bruit de la mitraille. Un frisson nous traverse ; nous sommes heureux ! C'est la victoire, pensons-nous ! Non ! C'est le 3e bataillon qui se faite massacrer, son chef en tête ». Le sergent-major Maunourri est effaré : « Le brouillard est entièrement dissipé bien qu'au loin on ne distingue que confusément les objectifs. La fusillade à laissé place à une violente canonnade de part et d'autre. Je regarde au dessus du mur et ne vois que des unités couchées dans les champs ; ça et là, un agent de liaison galope à toutes jambes. Des cris de blessés me parviennent, distincts ».

Le lieutenant Hassler est plus laconique : « Pendant deux heures nous restons là ».

 

Une contre-attaque menée par le 1er bataillon (moins la 2e compagnie) reste vaine.

 

Vers midi, le repli est décidé par le général Boëlle, commandant du 4e CA. Les débris de la 8e DI doivent occuper la position 280/Montquintin au sud de St-Mard.

 

La 2e compagnie n'a subi aucune perte. En l'absence du capitaine Mouraux, parti prendre le commandement du 1er bataillon suite à la blessure du commandant Lambert, c'est le lieutenant Hassler qui dirige la troupe : « Enfin, vers midi et demi ou treize heures, nous recevons l'ordre de quitter le cimetière et d'aller prendre position en arrière de l'artillerie, sur les crêtes qui dominent Virton ».

Pour Maunourri, le repli se fait vers 11h30 : « Un coup de sifflet du capitaine. Est-ce la marche en avant au secours des camarades ? Non ! C'est le repli sur Virton. Les sections quittent le cimetière une à une en colonne par deux. A peine les derniers hommes sont-ils sur la route qu'un fracas nous fait tourner la tête : c'est le mur qui nous abritait qui vient de s'effondrer sous les obus ».

L'anecdote du mur qui s'écroule est également reprise par le lieutenant Hassler et par le caporal Joubaire.

 

En conclusion, les témoignages sont assez peu divergents, mis à part quelques notations horaires qui sont bien explicables dans le feu de l'action. Le récit du sergent-major Maunourri semble s'être très largement inspiré de celui d'Alfred Joubaire publié en 1917. Des phrases sont notamment reprises mot pour mot. Il paraît en effet difficile à deux personnes, certes présentes au même endroit mais distraites par le son du canon, de retenir au mot près des phrases entières dites par une tierce personne. Ce qui prouve une fois encore que le témoignage reste d'un appui fragile.

 

Sources :

 

- Capitaine Hassler, Ma campagne au jour le jour, Perrin 1917

- Alfred Joubaire, Pour la France, Perrin 1917

- Mouvements de la 2e cie du 124e régiment d'infanterie les 21,22 et 23 août 1914. Combat de Virton. Capitaine Maunourri, Eclats de Mémoire, Association Bretagne 14-18

- Commandant Grasset, Virton in Revue Militaire Française, 1925.

 

  



20/01/2013
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 64 autres membres