La correspondance militaire de Paul Vaseux (5)

 

Le 15 septembre 1914, la marche en avant continue. Le régiment cantonne à Cheppy. Le lendemain, attaque du village de Véry où le 1er bataillon s'organise défensivement.

 

 

16 septembre

 

« Je ne sais si nous en avons encore pour longtemps mais les nouvelles qui se succèdent continuent à être bonnes. Depuis quatre jours nous avons avancé de 60 kilomètres et le mouvement paraît devoir continuer encore pendant quelques temps. La joie que nous procurent nos succès nous fait oublier un moment nos misères et cependant quoique le moral soit devenu meilleur qu'au début, le physique se fatigue. Les pluies ont commencé et nous n'arrivons pas à nous sécher complètement. Les nuits que nous sommes obligés de passer le long des routes ou dans les champs sont bien pénibles. Les petits approvisionnements personnels que nous avons pu trouver à peu près jusqu'à présent chez l'habitant commencent à s'épuiser, et il nous est impossible pour longtemps de les reconstituer, puisque nous ne traversons que pays dévastés, inhabités et brûlés.

Ah ! Qu'il sera bon d'ici quelque temps de prendre un bon repos, de coucher dans un lit et de se reposer après en avoir été si longtemps privés. Vienne ce jour le plus tôt possible, mais seulement après avoir complètement achevé la besogne qu'on nous a obligé de commercer. Priez pour la fin de cette terrible guerre et pour notre plein succès prochain ».

 

 

 

 

Dès les 19/20 septembre, le 131e RI se regroupe dans le secteur de Boureuilles. Les bataillons sont souvent engagés séparément. Ils occupent des tranchées autour de la croupe 207. Un ruisseau tout proche rend la zone marécageuse. Le 24 au soir, devant la pression ennemie, les unités se replient sur Neuvilly. A partir du 27 septembre 1914, les bataillons du 131 se répartissent dans la Zone Pierre Croisée/côte 285. C'est une succession de profonds ravins et de bois très touffus. Le 1er et 2 octobre, le régiment participe à une attaque en vue de se rendre maitre de la route Varennes/Le Four de Paris. C'est un échec. On commence alors à s'organiser méthodiquement. Les tranchées ennemies sont à peine à 300m sous bois. La guerre de mouvement s'achève.

 

 

 

 Fond de carte SHD Terre 26 N 682

 

 

 

Le Neufour, 4 octobre

 

« J'ai un instant de repos et je vous le consacre. Rien de bien intéressant à vous conter, les journaux que vous pouvez voir vous en disent assez pour vous donner un aperçu très vague de ce que sont nos terribles et interminables batailles. Ah ! Je dis bien terribles. Que de malheureux sont fauchés par la mitraille et combien plus encore sont blessés ou évacués pour maladies et fatigues. On ne peut pas se faire une idée de pareilles choses.

Une demie-heure dans nos tranchées, lorsque fusants et percutants nous tombent dessus, nous vieillit de 10 ans. Lorsqu'il faut faire un mouvement en avant ou en arrière et qu'au commandement on voit parfois les deux tiers des hommes rester dans la tranchée, on se demande comment on a pu échapper. On est abruti, on continue le mouvement sans se soucier davantage du danger que l'on court et on oublie ce que vient de se passer. Cela s'est vu tant de fois qu'on y fait plus attention. Et pourtant que d'idées nous travaillent l'esprit pendant les heures, les jours et les nuits, les semaines et bientôt les mois que nous vivons dans ces fossés et dans ces forêts de l'Argonne dont vous avez déjà bien dû entendre parler.

Que de fois j'ai pensé à vous, Parents chéris et comme je souhaite de vous revoir bientôt ! O belle journée entre toutes que celle-là ! Puisse-t-elle venir un jour, si tard que se soit. Que de fois aussi j'ai songé à Maman ! Bonne et chère petite mère ! Dieu avait bien prévu la peine qu'elle aurait en ce moment et il l'a rappelée. Peut être serai-je dans quelques jours près d'elle. En tout cas, je suis prêt depuis le début de la campagne et chaque jour, combien d'actes de contrition faisons-nous, moi et mes camarades, car il nous semble que ce n'est que reculer pour mieux sauter. Évidemment, il y a les blessures légères auxquelles nous sommes exposés au même titre que la mort et heureusement que le nombre de ces derniers disparus du champs de bataille est beaucoup plus considérable que celui des morts. Enfin nous travaillons pour le bonheur de ceux qui resteront et voilà pourquoi nous le faisons de tout cœur, au prix de notre vie s'il le faut.

Nous sommes sur la limite des départements de la Meuse et de la Marne, à mi chemin du nord au sud du département de la Meuse, à quelques kilomètres de Varennes et Montfaucon qui étaient encore occupés par les Allemands il y a quelques jours. Depuis huit jours, nous occupons sensiblement les mêmes emplacements. Nous avons, en effet avancé de 5 kilomètres. C'est à vous dire si les retranchements sont solides, les positions avantageuses de part et d'autre et s'il est difficile d'avancer. Nous sommes à 12 ou 15 kilomètres de Saint-Menehould, en pleine Argonne comme vous pouvez le voir sur ce papier et cette vie en plein bois n'a rien de bien charmant, d'autant plus qu'il y fait déjà froid, surtout la nuit.

Un mot seulement sur les marches antérieures pour vous donner un petit aperçu de notre mouvement. Après Saint-Mihiel aujourd'hui occupé par les Allemands d'où on les chasse je crois, nous avons remonté la Meuse jusqu'à la frontière Belge et Luxembourgeoise. Nous avions alors livré notre premier combat entre Virton et Longuyon et depuis cette malheureuse journée (quelques heures seulement en Belgique) nous avons battu en retraite jusque près de Bar-le-Duc. Depuis nous avons repris l'offensive et nous repoussons sans cesse les Allemands. Nous en sommes arrivés au gros morceau à avaler. Quand réussirons-nous complètement ? Je ne sais. Ce qui est certain, c'est que malgré les fatigues et les petites misères, nous sommes plein de courage et de confiance en l'avenir. Puisse l'avenir confirmer nos espérances et Dieu nous assurer la grande victoire finale. Priez, priez beaucoup pour qu'il en soit ainsi. Priez aussi pour nos défunts, nos blessés et ne m'oubliez pas chaque jour dans votre élévation vers Dieu. Je pense chaque jour à vous tous et souhaite de retourner bientôt vous embrasser tendrement ».

 

 

Le 5 octobre, les bataillons sont relevés par le 4e RI. Ils se regroupent autour d'Abancourt.

 

  

Le Neufour, 5 octobre.

 

« Depuis hier rien de nouveau ici. Nous restons sur nos positions où nous avançons très lentement. C'est la guerre de siège en campagne. J'ai vu plusieurs fois des convois de prisonniers nous en avons fait nous mêmes un certain nombre. Il y a parmi ces Allemands des jeunes gens de 16 ans qui ont à peine 2 mois d'instruction en même temps que des hommes très âgés. C'est dire que de l'autre côté on fait feu de tout bois pour tenir tête aux alliés. Espérons cependant que nous finirons bien par avoir raison de ces barbares, mais, je crois que ce sera dur.

L'hiver a déjà commencé par ici et s'il faut le passer entièrement ainsi, souvent au bivouac, nous pourrons dire que nous en aurons vu de durs. Enfin quoi qu'il arrive, j'espère à la victoire finale et je souhaite que ce soit avant la fin de l'année pour courir vous embrasser bien fort et me réchauffer au coin du foyer paternel ».

 

 

 

 



19/08/2012
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