Pertes-les-Hurlus février 1915 : le 130e à l'assaut du bois 212

  

L’année 1915, suivant une belle formule de l’historien Pierre Miquel, apparaît à juste titre comme celle des hécatombes, de ces offensives meurtrières et inutiles mises sur pied par un Etat Major aussi aveugle qu’obstiné qui veut voir l’allemand nécessairement à bout de souffle et désireux de se retirer très vite. Champagne et Artois  vont être le lieu de combats sanglants qui arracheront sur une année près de 400000 jeunes hommes à leurs familles. Ces grandes offensives, qu’il faudra alimenter en soldats et en munitions, ne permettront au final que de gagner au mieux trois ou quatre kilomètres sur l’ennemi.

 

Depuis l’automne 1914, les combattants des deux camps se sont retirés derrière une ligne d’abris plus ou moins bien défendue. La guerre de tranchées a fait sont apparition. Entre octobre et novembre 1914, les troupes organisent leurs secteurs. Les allemands, qui peuvent s’appuyer sur des groupes de pionniers efficaces, s’installent pour une longue durée. Les français, pour qui l’emploi des fortifications n’est pas culturel, ne mettent en place que des bouts de tranchées discontinues avec des boyaux insuffisants. Un soldat mayennais du 104e RI écrit à son curé au lendemain de Noël 1914 : « Je viens de passer cinq jours dans les tranchées et je vous assure qu’il n’y faisait pas bon pendant trois jours, la pluie est tombée, l’eau nous montait jusqu'à la moitié des jambes. Nous étions gelés la moitié du temps. La nuit il fallait toujours veiller ; j’étais placé en sentinelle à quelques cents mètres de l’ennemi pendant dix à douze heures de temps, et le jour nous creusions de nouvelles tranchées ».

 

Dans l’ordre général N°32 du 17 décembre 1914, le général en chef lance la première grande action d’envergure : « L’heure des attaques a sonné. Après avoir contenu l’effort des allemands, il s’agit maintenant de le briser et de libérer définitivement le territoire national envahi ».

Cette offensive déclenchée le 20 décembre en Champagne n’apporta pas les résultats escomptés. Il fut décidé une reprise de l’action dans la première quinzaine de février 1915. Elle eut lieu le 16 à 10h00. Trois corps d’armées furent lancés à l’assaut.

 

 

Dès le premier jour de l’attaque, le 4e corps d’armée qui se trouve en seconde ligne reçoit l’ordre de détacher une brigade au 17e corps, déjà engagé dans l’offensive. C’est la 15e brigade (124e et 130e RI) qui est désignée pour l’opération. Sa mission est de soutenir l’action contre les tranchées allemandes au nord de Perthes-les-Hurlus, village de 156 habitants niché au creux d’une forêt de sapins dans le nord est du département de la Marne.

Le 16 février 1915 vers 13h00, le 130e RI prend la tête de la colonne et se met en marche de la ferme de Piémont pour le village de Suippes. Il n’y a guère plus de 4 kilomètres à franchir. En milieu d’après midi, les hommes sont rassemblés dans un ravin à l’est de la route de Perthes : le 130e sur la pente ouest, le 124e sur la pente est. On s’installe au bivouac. Le capitaine Hassler de la 1ère compagnie du 124e note : « Enfin nous sommes couchés. Sur la route de S… toutes les cigarettes, pipes et autres feux sont éteints pour éviter d’attirer des tirs d’artillerie ennemie. Je suis couché sur la paille dans une maison abandonnée. Froid épouvantable.» Le soldat rené Prud’homme lui aussi du 124e vit les mêmes instants : « Le 17 février nous sommes dans les sapins, à hauteur de la ferme de Piémont, sentant que le moment est venu pour nous de recommencer. Nous sommes en alerte et nous passons des revues pour voir si les baïonnettes tiennent bien au bout des fusils. »

 

Dans la soirée du lendemain, le général de la 15e brigade est convoqué au QG du 17e corps. Aux termes de l’ordre général N° 219, la brigade sera mise le 18 février à la disposition de la 34e division et attaquera le même jour les positions ennemies.

A droite, le 124e RI à pour objectifs successifs, le Bois des 3 Sapins, le Bois 213 et les tranchées 207 et 208.

 

 

 

 

Carte SHD Terre 26 N 111

 

 

A gauche, le 130e RI doit prendre les Bois 211 et 212 et les tranchées 206 et 205.

Le 18, en milieu de matinée, les officiers exécutent les reconnaissances préalables du terrain. Il y a une forte gelée mais le temps est beau. Vers 13h00, la brigade est rassemblée à la Maison Forestière. En début d’après midi, le 59e RI, par une contre attaque audacieuse, reprend pied dans la tranchée 211 perdue le matin même. Peu après, la 15e brigade reçoit l’ordre de porter ses deux bataillons de tête dans les points d’appui nouvellement conquis et de les organiser face au nord. Le 1er bataillon du commandant de Lattre occupe alors les tranchées au nord du point 46. Le 3eme bataillon, en réserve, bivouaque non loin de la Maison Forestière. Vers 15h00, conformément aux ordres, les unités du 1er bataillon du 130 s’ébranlent en direction de la tranchée parallèle à la lisière sud du Bois 211. Elles empruntent un boyau très encombré qui ralenti la mise en place. La boue et des averses de grêle rendent l’avancée très pénible. Dans la nuit, on envoie quelques patrouilles explorer la lisière nord du Bois.

 

Perthes-Les-Hurlus, vue générale octobre 1915

 

 

Le 19 février 1915, il fait un temps doux et pluvieux sur Perthes. A 6h00, la 4e compagnie du lieutenant Ecorcheville quitte la tranchée de départ et s’engage sur la droite du Bois 212. « En avant, faites votre devoir » crie l’officier à ses hommes. Au même moment, trois sections de la 3e compagnie du sous-lieutenant Hyon sont lancées à leur tour à gauche, jusqu’à la lisière sud du Bois 212. Très vite elles essuient des tirs d’infanterie provenant d’une position allemande située à la lisière du bois. Puis ce sont des feux de mitrailleuses partant de la gauche qui fauchent les rangs et occasionnent des pertes sérieuses. Les deux unités, prisent à la fois de front et de flanc, sont décimées. Les pertes sont sévères. Le commandant de Lattre est blessé. A la 4e compagnie le lieutenant Ecorcheville est tombé parmi les premiers ainsi que le sous-lieutenant Wach. Le sous-lieutenant Guilloux est blessé. A la 3e compagnie, les sous-lieutenants Hyon et Mitraud sont portés disparus. A la 2e et 1ere compagnie, tous les cadres sont également hors de combat. Au 1er bataillon, il ne reste plus qu’un seul officier encore valide, le sous-lieutenant Oudin de la 1ere. Les rescapés se replient en désordre vers le bois 211 où ils doivent attendre l’ouverture du feu d’écrasement de l’artillerie. A 10h00, ordre est donné au 2e bataillon du capitaine Wurtz, de renforcer ses camarades du 1er.

 

 

 

 

 

 

 Fond de carte SHD Terre 26 N 111

 

 

 

A midi précis, à l’issue d’une violente préparation d’artillerie sur le Bois 212, Wurtz et ses hommes, baïonnette au canon, se lancent à l’assaut de la lisière sud du bois. Mais comme lors de l’attaque du matin, les mayennais sont arrêtés de nouveau dans leur progression par des feux nourris d’infanterie et de mitrailleuses. Visiblement, la lisière sud de 212 n’a pas été suffisamment battue par l’artillerie française. Chaque bond se traduit par des salves destructrices. Toute avance devient impossible. Le capitaine Wurtz est tué et plusieurs autres officiers de son bataillon blessés.

 

 Capitaine Wurtz Fernand

 

 

On organise alors une position sur la lisière nord du Bois 211 en utilisant une ancienne tranchée allemande. Les débris du 130e, choqués et abasourdis, s’y installent pour la nuit. L’attaque a permis de gagner 300 mètres de position ennemie. Vers 20h00, une ultime contre attaque allemande est vigoureusement repoussée. La mission est de tenir coûte que coûte le terrain conquis.

Les pertes subies par la 15e brigade au cours de cette journée du 19 février 1915 s’élèvent à 27 officiers et 1034 hommes. Le lieutenant-colonel Dubost, chef de corps du 124, est lui même mortellement atteint en attaquant le Bois 3.

Les postes de secours des 124e et 130e RI se tiennent à la maison de garde, le poste de recueil des brancardiers de la 8e DI quant à lui s’organise sur la route de Suippes à Perthes. La distance séparant ces deux sites ne peuvent être parcourus, en raison des bombardements et de la fusillade, que par des pistes défilées, la plupart du temps inaccessibles aux brouettes. Les porteurs s’enfoncent sans cesse jusqu’à mi-jambe dans la boue. Ils mettent ainsi près d’une heure pour parcourir seulement trois kilomètres. Les blessés sont évacués sur les deux ambulances de triage et l’ambulance chirurgicale du 4e corps d’armée installées à la filature Buirette, avenue de la gare à Suippes. Dans les immenses ateliers de tissage, on place les hommes entre les métiers. Certains sont déposés dans les sous-sols. Le chauffage est inexistant.

Au matin du 20 février, il reste sur le terrain une quinzaine de blessés qui ne peuvent être relevés qu’à la faveur de la nuit par les boyaux de tranchées. L’opération est extrêmement difficile.

 

Le 130e RI s’enterre. On réorganise les troupes, très éprouvées, et on procède au renforcement des tranchées protégées par du réseau brun. L’artillerie doit faire quelques tirs d’efficacité pour protéger les travailleurs.

La 15e brigade ne sera relevée que le 22 février pour être mis au repos à La Cheppe, à une dizaine de kilomètres des lignes.

 

Le 25 février 1915, le 130e RI retourne aux environs de la Maison Forestière. La troupe y est accueillie chaudement. Une batterie ennemie de 105 tire sans discontinuer et les obus tombent un peu partout dans les sapins. Le médecin auxiliaire Joseph Souberbielle est touché alors qu’il porte secours à des camarades, les deux pieds fracassés, puis une hémorragie abondante se déclare qui va entraîner sa mort pendant qu’on le transporte à l’ambulance. Alfred Joubaire du 124e blessé six jours auparavant note sur son carnet: « Le major me panse. Je dis au revoir aux camarades et on m’évacue. On m’a transporté sur un brancard, puis dans un petit pousse-pousse, puis dans une ambulance. Enfin à 3 heures et demie de la nuit je suis embarqué, et j’arrive à l’hôpital ». L’évacuation se fait par voitures par la route de Suippes à Perthes. L’axe, constamment bombardé, n’est plus qu’une succession de trous béants. Les autos roulent sans lumière et du fait de leur front trop bas, touchent sans cesse le sol retourné.

Au cours de la nuit du 25 au 26, la fusillade est ininterrompue et la canonnade des plus violentes dans le secteur.

 

 

Médecin Aide Major Labadie Gustave

 

 

Les services sanitaires travaillent dans des conditions hallucinantes. Le Médecin-Major de 1ere classe Labadie du 130e fait parvenir ce rapport à son supérieur sur les combats du 19 février et des jours suivants : « Impossible d’installer des abris dans les tranchées et d’y appliquer d’autres pansements que les pansements individuels. Transports très pénibles en raison de la boue épaisse, du croisement incessant dans des boyaux étroits, enchevêtrés, où on perd souvent la bonne direction, avec les corvées de ravitaillement, certains boyaux étant d’autre part enfilés par l’artillerie adverse. Souvent obligation de décharger le blessé du brancard et de le transporter à dos d’homme ou dans une couverture. Poste de secours installé près de la Maison Forestière dans des conditions insuffisantes d’espace, sans possibilité d’allumer du feu. Grande difficulté d’aller relever les blessés tombés en avant des lignes. Le soldat Flandre, de la 8e compagnie, atteint d’un éclat d’obus à la région lombaire n’a pu être relevé qu’au bout de 36 heures. Les brancardiers partis pour le chercher le 21 février à 20h00, ne purent le ramener que le 22 à 7h00 à cause de la fusillade incessante ».

 

 

 

 

 



Pierre Miquel, Les poilus, Pocket 2008.

Général Rouquerol, La main de Massiges, Payot 1933

Capitaine Hassler, Ma campagne au jour le jour, Perrin 1917.

Le fusil et le pinceau, souvenirs du poilu rené Prud’homme, Alan Sutton 2007

Alfred Joubaire, Pour la France, Perrin 1917

JMO Direction du Service de Santé du 4e CA et des unités évoquées



22/01/2011
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