Perthes-les-Hurlus février 1915 : le 124e au bois des Trois-Sapins

 

Le 19 février 1915, alors que le 130e régiment d'infanterie se trouve engagé devant le bois 212, le 124e se voit confier la lourde tache d'occuper le bois des Trois-Sapins, d'avancer sur le bois 213 puis la tranchée 207. La 15e brigade est mise à la disposition de la 34e division du 17e corps d'armée. A peine plus de mille mètres séparent les deux régiments frères.

Dans l'après midi du 18, le 3e bataillon a déjà reçu l'ordre de s'installer au bois des Trois-Sapins pour soutenir une attaque du 59e régiment d'infanterie.

En ce vendredi 19 février 1915, il fait un temps doux et pluvieux sur Perthes-les-Hurlus. Le sol est détrempé.

Le 2/124 du commandant Létondot prend position à la tranchée 202 vers 4h45. Les hommes ont laissé à la Maison Forestière leur sac et n'emportent que leur toile de tente, leur couverture et leurs vivres de réserve.

Le bataillon a pour ordre de marcher par le bois des Trois-Sapins sur le bois 213. Une ligne téléphonique a été établie dans la nuit entre le Merlon 50 et le bois des Trois-Sapins. Les tranchées ont été approfondies pour tireur debout et protégé par du réseau brun.

 

 

 

 

Fond de carte SHD Terre 26 N 111

 

 

 

Avant l'aube, la 8e compagnie, en tête de dispositif, s'enfonce dans le bois et débouche en vue de 213. Elle essuie de nombreux tirs de face qui font d'énormes victimes. La 5e compagnie la prolonge à droite. Avec le jour naissant, le feu se fait plus violent. Le capitaine Peltier (5e cie) est tué d'une balle dans la gorge. Les pertes sont telles qu'on ne franchit pas le bois des Trois-Sapins. Les vagues d'assaut sont prises d'enfilade par des mitrailleuses. Le caporal René Prud'homme, de la 5e compagnie, est de ce premier assaut : « Le jour se lève peu à peu. Nous commençons à distinguer notre objectif. C'est le bois des Trois-Sapins. Dans le silence le plus complet, toute la compagnie se déploie en tirailleurs, face au bois, prête à s'élancer. La capitaine, couché devant moi, attend pour donner le signal de l'attaque. Rien ne bouge. Il fait presque jour lorsqu'il lève son képi. Comme mus par un ressort, nous nous levons et nous mettons à courir en hurlant. A la même seconde, comme si le képi de notre capitaine leur avait donné le signal de tirer, les mitrailleuses allemandes crépitent, balayant les hommes de la compagnie qu'elles prennent en enfilade, sur notre droite. Morts, blessés ou vivants, tout le monde culbute et ne bouge plus. Tout cela en l'espace d'une dizaine de secondes. Les Allemands avaient dû nous voir nous déployer et avaient attendu le moment propice pour déclencher leur tir. Leur tranchée est absolument perpendiculaire à notre manœuvre et aucun de nous n'aurait dû en réchapper. Notre capitaine détesté n'avait pas eu le temps de partir qu'il était fauché et tué par une balle dans la gorge ». Les hommes se retranchent dans le bois pour en assurer l'inviolabilité.

 

 

Le lieutenant François Hersart de la Villemarqué

 

 

Les 6e et 7e compagnies ont suivi le mouvement. Très vite, le lieutenant de la Villemarqué (6e cie) est touché à la poitrine. L'adjudant Deslande, reste étendu sur le sol à 20 mètres des allemands. Les sous-lieutenant Rousseau (5e cie) et Gros, l'adjudant Bellanger, le sergent-major Lacour et environ 60 hommes sont mis hors de combat.

Le 3/124 du commandant Moriceau, sur ordre du chef de corps du 59e RI, prend position vers l'ouest, entre 211 et le bois des Trois-Sapins pour organiser le terrain. Des éléments des 9e, 10e et 11e compagnies participent à une charge à la baïonnette. Le sous-lieutenant Talligaut (11e cie) et le sergent-major Dufère (9e cie) sont tués.

Le 1/124 du capitaine de Kerguenec, maintenu en réserve, arrive vers 15h00 à la hauteur du bois des Trois-Sapins pour appuyer le mouvement des deux autres bataillons. Il se rassemble au PC du chef de corps, le lieutenant-colonel Dubost, à Merlon 50.

Vers 15h40, l'artillerie française pilonne les tranchées 207 et 208.

 

 

Le colonel Léonard Dubost

 

 

A l'issue du tir d'écrasement qu'il juge très efficace, Dubost saute spontanément hors de la tranchée, lève sa canne et lance le 1er bataillon sur les tranchées allemandes. Le bois des Trois-Sapins est franchi. On a déjà parcouru 200 mètres. Au moment où on atteint la crête, un violent feu de mitrailleuses bloque les assaillants. Le lieutenant-colonel Dubost tombe mortellement frappé au cœur. Les hommes sont fauchés les uns après les autres. Plus aucun mouvement n'est possible. Le capitaine Hassler, commandant la 1ère compagnie, relate l'épisode dans son journal :  « Nous arrivons à la tranchée du 59e régiment ; le colonel avec nous se lance à l'assaut vers 16 heures et quart. Il est tué. Impossible d'avancer dans ces boyaux sinistres. La nuit commence à tomber et le bruit court que le capitaine de Kerguenec est tué ou blessé. J'allais prendre le commandement du bataillon quand j'entends la voix du brave capitaine de Kerguenec. Nous allons ensemble faire une reconnaissance sur le terrain où est tombé notre colonel ».

 

 

 

Le capitaine Hassler

 

 

Le sergent Alfred Joubaire , secrétaire du colonel Dubost, a vécu les mêmes moments d'angoisse et d'excitation. Dans une lettre à ses parents, il raconte l'assaut meurtrier : « Cette dernière tranchée, on la voit, elle est là devant nous à 600 mètres. Soudain une canonnade terrible de notre part. Tous les calibres sont de la partie : 75, 95, 105, 120, etc... canons de marine. Tous les vingt mètres il y a une pièce. Aussi je n'ai jamais rien vu de si effrayant. (…) Je suis à côté du colonel et du capitaine de Kerguenec. Soudain le colonel regarde le capitaine et dit : « C'est le moment de l'assaut. » - Oui, mon colonel. » Alors le colonel se dresse sur le talus de la tranchée, brandit sa canne d'une main, son képi de l'autre et crie : « Allez, les enfants ! Baïonnette au canon ! En avant ! ». Aussitôt, on part à la charge. Je ne quitte pas mon colonel. Tous les deux nous sommes en tête des assaillants. Mais c'est la plaine : pas un abri. On parcourt deux cents mètres au pas de charge, puis les Boches ouvrent une fusillade terrible. Le colonel tombe à mes côtés, tué. Au même moment, je ressens une grande douleur à la jambe. Une balle m'a atteint. Je fais encore quelques mètres et je tombe dans un trou d'obus qui me sert d'abri. ».

 

 

 

 

Poste de commandement à Perthes, in Ma campagne au jour le jour

 

 

Les survivants s'accrochent au terrain et creusent une tranchée. A la nuit, on organise solidement la crête face à l'est. Le 3/124 cherche à relier les positions du 130 dans 211 avec les rescapés du 124e au bois des Trois-Sapins. Aucune liaison n'étant établie, la 34e division reste sans nouvelle des commandants Létondot et Moriceau jusqu'au lendemain 20 février.

Les éléments recueillis de ces deux bataillons après la période de flottement ont mission de constituer un centre de résistance très solide dans le bois des Trois-Sapins en s'approchant le plus possible de la lisière nord.

Dans une lettre à un ami, datant du 24 février, le capitaine Hassler décrit le champ de bataille qui s'offre à lui le 20 au matin : « Au jour, je regarde la plaine devant et derrière moi : partout des cadavres dans des poses tragiques : les uns, sur le dos, ont les bras levés, mains crispées, gestes de représailles ; d'autres ont un genou en terre, le coude appuyé sur l'autre genou, la tête reposant sur la main ».

René Prud'homme, lui, cherche à se protéger comme il le peut :  « Le lendemain matin s'annonce comme une nouvelle belle journée, à soixante mètres de la tranchée allemande et de ses mitrailleuses. Quand le jour est venu, je n'ai pas le temps de bien l'examiner car, bientôt, les ennemis nous canardent. Tout ce qui dépasse le parapet de notre fossé est immédiatement percé. Les 77 rasent notre fossé et éclatent dans les sapins derrière nous. Les mitrailleuses enlèvent notre bourrelet de terre et il faut sans cesse gratter sous nous pour descendre le plus possible. »

 

 

 

 

 

Le 124e régiment d'infanterie ne sera relevé que dans la nuit du 22 au 23 février 1915. Le colonel Lebaud, montant en ligne avec le 101e RI, rencontrent le 23 février les troupes mayennaises qui descendent au repos. Leur vision est terrible : « Plus loin, nous croisons quelques débris de compagnies du 124e et du 130e (de la 8e division) qui reviennent au repos à la Cheppe après avoir été cruellement « amochés » dans des attaques de tranchées. Les officiers nous racontent que leurs pertes ont été terribles : ils déplorent, entre autres, la mort du colonel du 124e. Boueux et tristes, ces rescapés impressionnent un moment mes hommes si gais et si confiants. »

 

 

Sources :

  • JMO du 124e RI, SHD Terre 26 N 684

  • JMO de la 15e brig, SHD Terre 26 N 500

  • JMO de la 67e brig, SHD Terre 26 N 515

  • JMO du 59e RI, SHD Terre 26 N 650

  • JMO de la 8e DI, SHD Terre 26 N 284

  • JMO de la 34e DI, SHD Terre 26 N 326

  • JMO du 17e CA, SHD Terre 26 N 163

  • Historique du 124e RI

  • Capitaine Hassler, Ma campagne au jour le jour, Perrin 1916

  • Le fusil et le pinceau, souvenirs du poilu René Prud'homme, Alan Sutton 2007

  • Alfred Joubaire, Pour la France, Perrin 1916

  • Colonel Lebaud, Actes de guerre, Lavauzelle 1932

 

 

 

 



06/03/2011
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