La correspondance militaire de Paul Vaseux (2)

 

 

 

 

Le voyage en chemin de fer s'arrête pour Paul Vaseux et ses camarades à la gare de Lerouville d'où ils débarquent au petit matin du 6 août. Puis ils sont dirigés sur Saint-Mihiel et occupent la caserne Canrobert. Le 7 août, le 131e est chargé de la défense du pont de la ville. Le 8 août le régiment occupe des positions sur les Hauts de Meuse entre Senonville et Varvinay puis rentre à Saint-Mihiel en milieu d'après midi.

 

Saint-Mihiel, 8 août 1914 (21h00)

 

« Aujourd'hui encore nous sommes revenus coucher à Saint-Mihiel et Dieu sait si nous sommes heureux de pouvoir ce soir encore, coucher dans un lit laissé par le 161e d'infanterie. ...J'espère bien moi aussi revenir, mais qu'importe s'il le faut, nous saurons mourir en luttant vaillamment jusqu'à notre dernier souffle pour assurer la victoire et la paix et la liberté à notre cher pays. Il me semble qu'il serait préférable de mourir sur le champs de bataille que de revenir avec un ou deux membres de moins. Je ne puis me faire à l'idée que je pourrais retourner à Beaumont avec une jambe ou un bras de moins. La mort me paraîtrait désirable et pourtant la vie à tout prix, c'est bien ce que demande chacun de nous. Enfin pour le moment tout va bien. Jusqu'à aujourd'hui nous avons eu à souffrir en aucune façon, ni des marches trop pénibles, ni de provisions faisant défaut, ni même de coups de fusil emportant quelques-uns d'entre nous. Nous sommes en ballade. Et cette ballade finira quand ? Je l'ignore. »

 

L'unité de Paul Vaseux quitte Saint-Mihiel le 9 août pour cantonner dans la région de Villiers-sur-Meuse. Dès le lendemain, cantonnement à Haudainville jusqu'au 13 août. Le 14, ordre est donné de faire mouvement sur Ornes. Au soir,  e 131e régiment d'infanterie prend position autour de Gincrey/Morgemoulin. Le 15 aoùt, il atteint Billy-sous-Mangiennes.

  

 

16 août

 

« Hier et aujourd'hui j'ai pu profiter d'une heure de liberté dans le courant de l'après midi pour assister aux vêpres. Lorsque j'ai entendu chanter l'Ave Maris Stella et le Magnificat, ainsi que d'autres chants auxquels j'ai pu prendre part,  je n'ai pu retenir mes larmes. Je ressentais cette grande consolation morale que je trouve près de l'autel ; et dans ce moment de sacrifice et de souffrance comme on est heureux de pouvoir causer avec Dieu dans son sanctuaire. C'est le père, l'ami auquel on confie sans aucune restriction toutes ses petites misères, auquel on offre tout cela et même sa vie en expiation de ses fautes. S'Il le veut, que sa volonté soit faite. Je suis complètement décidé à accepter tout ce qu'Il voudra. Peut être dans quelques jours irai-je là-haut, retrouver, ma mère, j'en serais très heureux et je ne vous oublierais pas. Si au contraire Dieu juge que ma présence est encore utile ici-bas pendant quelques temps, il permettra que les balles ne m'atteignent pas. Priez bien pour Maman, pour moi et pour notre succès.

J'ai vu déjà quelques tombes des premiers tombés et particulièrement d'un hussard du 14e qui, blessé sur le champs de bataille a été achevé avec une barbarie inimaginable. Les sauvages ne sont pas pires que certains de ces brigands entre les mains desquels je souhaite de ne jamais tomber. La mort immédiate au feu est de beaucoup préférable. Dans un ou deux jours, nous allons certainement nous battre sérieusement, car les premières rencontres ont déjà eu lieu et les masses s'y concentrent rapidement.

Jusqu'à présent, nous n'avons manqué de rien. Le service de subsistance est assuré dans d'excellentes conditions. Les petites choses que nous devons acheter chez l'habitant manquent déjà. Nous ne pouvons pas trouver de vin.
Les régiments qui nous ont précédés ont épuisé toutes les ressources. Enfin si le service de ravitaillement peut continuer à marcher comme il a fait jusqu'à présent, tout ira bien. Tout à été prévu et fonctionne à la perfection. On vient de rappeler. Nous partons dans une heure pour une destination inconnue. Où serai-je demain ? Je n'en sais rien.

Au revoir et bon courage ! Acceptez avec résignation les sacrifices actuels.
Dieu me guide et fera de moi ce qu'il voudra. Je suis entièrement à lui ».

 

 

 

Le 17 août stationnement autour de Loison/Vaudoncourt/Muzeray. Le lendemain, cantonnement à Romagne-sous-les-Côtes jusqu'au 20 août. Le 21, mouvement sur Longuyon et Tellancourt est atteint. Le général Martin qui commande la 9e division prescrit au 131e de cantonner à St-Pancre et de pousser le 1er bataillon jusqu'à Cussigny où celui-ci est accueilli par des coups de fusils venant des bois. IL se met aussitot en retranchement dans le village. Les 2e et 3e bataillons partent occuper Houdlémont plus au sud. La merche du 21 août a été rendue très pénible par la chaleur accablante.

 

Le 22 août 1914, le 131e régiment d'infanterie (18e brigade, 9e division) est engagé pour la bataille de Longuyon sans que les hommes ne puissent prendre le moindre repos. La distribution de vivres n'a pas eu lieu. Les troupes doivent franchir le front Signeulx-Gorcy-Cosnes à 5 heures dans un brouillard très épais et sans aucune reconnaissance de l'ennemi. Le 2e bat est en réserve de brigade à Ville-Houdlémont. Le 1er bat attaque en devant de Cussigny alors que le 3e bat à pour objectif la station de Baranzy. Très rapidement l'attaque est enrayée par l'action combinée des mitrailleuses et de l'artillerie allemande camouflées par le brouillard. Vers 8 heures, très éprouvé, le 131e se regroupe d'abord sur une crête en avant de Buré-la-Ville puis, sous la pression de l'artillerie ennemie, retraite au sud de Tellancourt. Le 23 août 1914, le 131e RI gagne Petit-Xivry par Colmey.

 

 

  

 

23 août

 

« Nous venons de livrer la première grande bataille sur le bord de la frontière belge et luxembourgoise. Notre régiment à souffert. Nous attendons à l'arrière quelques renseignements pour savoir où nous rassembler. Notre régiment a été le premier à donner sur le coin. Il a dû se replier un peu en désordre, pendant que d'autres régiments à l'arrière arrivaient à notre secours et couraient reprendre nos positions. On ne sait pas exactement ce qui s'est passé. Chacun raconte le fait à sa façon. Ce qui est certain, c'est que nous avons reçu un baptême de feu terrible. Les balles et les obus pleuvaient à verse. C'est à se demander comment nous avons pu en échapper.

Beaucoup sont tombés. Chez eux, la proportion en tués et en blessés est beaucoup plus considérable que chez nos hommes. Nous avons des unités entières sans officiers. Notre colonel est blessé, notre lieutenant-colonel et deux commandants, au moins cinq capitaines tués ou blessés et beaucoup de lieutenants. Plusieurs sergents-majors, trois certainement sont morts sur le champs de bataille. Et les pauvres blessés ! Je ne sais ce qu'ils sont devenus. Peut être l'ennemi en a-t-il achevé une grande partie comme il a coutume de le faire. Le canon gronde depuis hier matin, car j'oubliais de vous dire que c'est hier 22 août, de 4 heures à 10 heures, que nous avons donné notre coup de feu.

Et les malheureux habitants ! Les femmes, les vieillards, les enfants se sauvent dans les pays voisins ; tout ce pauvre monde a enterré ce qu'il a pu et est parti en pleurant. Ah ! Comme on les sentait frères de cœur avec nous. Ils nous donnaient tout ce qu'ils avaient, nous encourageaient et nous suppliaient de ne pas laisser les allemands fouler le sol français. Ils passaient la nuit avec nous à nous préparer des aliments, du café, etc... La veille du combat, nous étions passés à Longuyon, petite ville frontière qui était occupée par les allemands quelques jours auparavant. Les habitants, en nous voyant traverser le pays, car notre division était en tête pour poursuivre les allemands, s'étaient installés sur les trottoirs et les bords de la route et nous distribuaient du vin, du café, des gâteaux, des allumettes (nous ne pouvions plus en trouver depuis trois jours), de la charcuterie, du pain. Il fallait voir avec quel cœur ils nous donnaient tout cela. Il me semblait qu'ils nous donnaient en même temps une moitié de leur cœur, tellement on sentait leur générosité.

Quelques jours auparavant, nous étions passés près de la tombe où sont enterrés quelques centaines d'hommes du 130, et je vous assure que tous les cœurs étaient bien serrés en rendant les honneurs aux restes de nos malheureux frères qui nous avaient précédés au feu. J'ai vu quelques blessés, mais il était interdit de les interroger pour ne pas les fatiguer. Je n'ai vu aucun homme de connaissance.

 

23 août, (11 heures)

 

« Encore une pause. J'en profite pour continuer ma lettre et j'ai hâte de vous dire que je suis en bonne santé. Je n'ai pas un cheveux de tombé ; quoique nous soyons embouteillés dans une très mauvaise situation, aucun ou presque aucun de ceux qui étaient avec moi n'a été atteint. Nous avons été remplacés par ceux de la 10e division et une partie du 4e corps, sinon le 4e corps tout entier ».

 

 

 

Sources :

- JMO des unités concernées dans la série SHD Terre, 26 N

- L'Echo de la Mayenne, AD de la Mayenne 1 PE 34/73

- L'invasion allemande, 7e partie, chanoine Schmitz et dom Nieuwland, 1924.

 



29/07/2012
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