La correspondance militaire de Paul Vaseux (3)

 

Après le rude baptême du feu du 21 août autour de Baranzy, le 131e régiment d'infanterie retraite en bon ordre vers le sud. Le 24, il traverse l'Othain au Petit-Failly et s'y fixe.

 

 

 

 

 

24 août, (8 heures)

 

« Nous reculons un peu en arrière pour nous reformer. Depuis trois jours, ce n'est plus l'infanterie qui combat, c'est la grosse artillerie. Nous ne pouvons absolument faire que la soutenir. Les petits canons de 75 ne peuvent rien faire pour le moment, le feu se tire à 12 kilomètres. Personne ne peut se rendre compte de ce qu'est une canonnade pareille : il faut y être pour voir. Ah ! Terrible fléau que la guerre. Je viens de voir passer les habitants de tous les pays à l'arrière. Femmes, enfants, vieillards, infirmes, tous s'entr'aident pour se retirer en emportant le plus possible, car la mitraille et l'ennemi ne laisseront pas pierre sur pierre. Les villages sont brûlés au fur et à mesure qu'ils sont occupés par les allemands : chaque soir, nous apercevons la lueur en plusieurs endroits. Tout brûle. Les allemands tuent, égorgent ou saccagent tout. Ils vont plus loin, ils réquisitionnent les femmes comme les bêtes et les violent. On ne peut croire à pareille forfaiture. Les Zoulous de l'Afrique ne sont pas pires. Ah ! Priez pour nous, pour notre succès et pour nos morts. Priez pour le rétablissement de nos blessés, pour les malheureux habitants de ces pays-ci qui sont plus affligés encore que nous. Priez pour la fin de ce carnage effroyable et que Dieu nous sauve. Ecrivez-moi souvent, ne serait-ce qu'un mot. Cela fait si grand plaisir, dans l'état où nous nous trouvons. Après la bataille, la fatigue des marches et des privations est adoucie par ce petit mot de la famille qui pense à son enfant. Tout me va droit au cœur et y apporte un réconfort que rien autre ne pourrait me procurer. On oublie pour un instant les dures misères présentes et on relit ces quelques lignes que nous conservons tous comme des reliques lorsque le moral commence d'être atteint ».

 

Le 25 août, à l'issue d'une contre-attaque qui échoue, l'unité fait mouvement vers Dombras. Au soir le régiment cantonne à Ecurey. Le lendemain, il atteint traverse la Meuse à Vilosnes et se fixe à Nantillois en soirée.

 

 

 

 

Nantillois, 28 août.

 

« Après la grande bataille à laquelle nous venons de prendre part pendant 4 jours, nous sommes heureux de profiter d'une première journée de liberté destinée au repos et à nous reformer avec les renforts qui viennent d'arriver. Nous avons eu avec les 4e et 5e corps une mission excessivement difficile et pénible. Malgré tous nos efforts qui furent magnifiques et une défense héroïque, nous fûmes obligés de battre en retraite, car la supériorité du nombre de l'ennemi était trop grande. Nous faisions partie de cette armée chargée de résister à l'invasion allemande à la frontière de la Belgique et du Luxembourg et c'est à la suite de notre insuccès que l'armée ennemie est entrée en France. Les journaux en ont un peu parlé. Vous avez du les voir.

Toute la grosse artillerie passe ici depuis ce matin. Les renforts de toute catégorie se concentrent par ici et je crois que nous sommes encore à la veille d'une grande bataille. Qu'en adviendra-t-il ? Je l'ignore. On parle déjà que les allemands reculent et que Strasbourg serait pris. Je veux le croire mais il court tellement de faux bruits chaque jour, que j'accepte tout, mais avec réserve ».

 

Le mardi 1er septembre 1914, Paul Vaseux et ses camarades viennent cantonner à Cunel puis en soirée atteignent Cierges. Le 2, les hommes se placent en position d'attente face au nord entre Eclisfontaine et Epinonville. Le même jour, ils subissent une lourde attaque allemande mais maintiennent leurs positions.

 

2 septembre

 

« Un petit instant de liberté et je vous le consacre, non qu'il y ait beaucoup de nouveau, mais seulement pour vous donner signe de vie. Nous avons beaucoup de mal à retenir la formidable masse qui veut nous envahir. Déjà dans le Nord, nous faiblissons. Ici, nous n'avançons pas, loin de là, mais nous reculons très doucement, et comme la famine va bientôt envahir l'Allemagne toute entière, il sera impossible à ces fameux boches de continuer dans un mois d'ici. Je crois d'abord que c'est la tactique adoptée pour éviter une trop grande effusion de sang et arriver quand même au résultat final, la victoire, moins de gloire peut être, mais plus d'humanité. N'est-ce pas superbe !

Je viens de voir rentrer quelques blessés. Comme c'est triste ! Ces pauvres malheureux sont tout couverts de sang. Ils sont à bout de forces. Les infirmiers et tout le personnel désigné pour les secourir et les panser travaillent bien. Les aumôniers se dévouent également de tout leur cœur. Ils accompagnent les convois jusqu'à l'arrière du champs de bataille et en dehors de la question religieuse, se dépensent énormément pour nos frères d'armes.

Depuis bientôt quinze jours, la canonnade gronde avec un fracas épouvantable. Les obus pleuvent, heureusement plus souvent en arrière ou en avant que sur nos lignes. Et nous restons tous courageusement sous cette mitraille jusqu'à ce que la voix de nos chefs nous commande la retraite.

Au cours de cette semaine, je suis passé à Varennes, joli petit chef-lieu de canton de la Meuse où Louis XVI fut arrêté, j'ai vu la maison où il logea comme prisonnier. Cette nuit j'ai été obligé, avec quelques-uns de mes camarades, de coucher à la belle étoile. La terre est chaude pendant le jour par ces chaleurs qui ne nous ont pas quittés depuis notre départ, mais les nuits sont très longues et froides, et ce matin j'étais littéralement gelé en me réveillant.

Heureusement nous avions touché la veille au soir la ration d'eau-de-vie et je vous assure qu'elle était la bienvenue.

L'ordre de départ vient de nous être donné. Encore cinq minutes et nous serons sur la grande route. J'en profite donc pour terminer cette petite missive et vous assure que tout va bien pour le moment, pas le moindre bobo, beaucoup de fatigue mais supportée facilement, quelques privations mais sans trop en souffrir. Le sacrifice demandé est considérable, mais nous sommes généreux et l'acceptons franchement.

Au revoir donc et j'espère à Noël aller manger l'oie et faire avec vous le traditionnel réveillon.

En attendant la réalisation de ces espérances, je vous embrasse tous, de tout mon cœur et me recommande à vos bonnes prières ».

 

 



10/08/2012
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