Virton 1914


La 2e compagnie du 124e à Virton

 

 

 

Il peut être fort instructif parfois de comparer divers témoignages relatant le même épisode. C'est ce que nous nous proposons de faire avec l'engagement de la 2e compagnie du 124e régiment d'infanterie de Laval à Virton le 22 août 1914. Un nouveau témoignage publié récemment par l'Association Bretagne 14-18 permet de se faire une idée plus juste de ce combat. Il s'agit du récit du sergent-major Maunourri, chef de section à la 2/124. En parallèle, nous examinerons les témoignages du caporal Alfred Joubaire et du lieutenant Hassler, tous deux également membres de la même compagnie. L'ouvrage du commandant Grasset sur la bataille de Virton nous servira de fil rouge.

 

Encadrement de la 2/124 le 21 août 1914 :

 

Capitaine Mouraux commandant la compagnie

1ere section lieutenant Jeannel

2e section sergent-major Maunourri

3e section adjudant Surzur

4e section lieutenant Hassler

 

 

1- Cantonnement du vendredi 21 août.

 

Le lieutenant Hassler note :  « Vers 7h00 départ pour Arnoncourt. (…) Après avoir passé le pont, nous stationnons dans un village pendant 1 heure et demie. Réception cordiale, touchante des Belges. Des jeunes gens distribuent à nos hommes des cigares, du café au lait, des confitures. Tout cela dans un pêle- mêle émouvant. Enfin nous reprenons notre marche et nous allons prendre une formation de halte gardée en plein champs près d'Arnoncourt. Un orage violent nous y surprend ! Nous restons là environ 2 heures, puis nous allons cantonner dans le village d'Arnoncourt ».

 

Le sergent-major Maunourri est plus précis. Il évoque un départ à 4h45 et indique le nom du village traversé : Lamorteau. « On repart enfin. Personne ne pense plus à la guerre depuis le réconfortant spectacle de Lamorteau. Vers 16h00, le bataillon pénètre dans Harnoncourt : le drapeau belge flotte à la pointe du clocher. Les hommes sont éreintés et personne ne songe à parcourir le village. Quelques escouades, plus vaillantes, font la soupe. Mes préoccupations, comme comptable, ne me laissent guère le temps de m'occuper de mes hommes. Le temps devient orageux. De gros nuages couleur de suie nous menacent déjà, avant d'entrer dans le village, une averse nous a surpris en plein champ dans une formation articulée. La 4e compagnie est de service aux issues. Il pleut violemment à la nuit ».

 

Alfred Joubaire ne dément pas ses camarades. A Lamorteau, « l'accueil dépasse tout ce qu'on peut imaginer. On nous donne en passant du vin, de la bière, du beurre, du lait. La joie rayonne sur tous les visages de ces pauvres Belges dont nous sommes le suprême espoir » (…) « A 15h45 on arrive à Harnoncourt. C'est là qu'on doit cantonner. Je suis très fatigué ; aussi le lieutenant J … (Joubaire parle sans doute du lieutenant Jeannel) me recommande t-il à un habitant chez qui je couche ».

 

 

2- Samedi 22 août 1914, bataille de Virton

 

D'après Grasset, le 124e a été alerté à Harnoncourt à 3h20. Hassler ne mentionne pas d'heure. Pour Joubaire, « A 3h00, debout. On est plein d'enthousiasme et de confiance ». Maunourri confirme : « 3h00. Tout le monde est prêt. On vient de prendre le café ; les hommes sont gais, chantonnent, plaisantent ; dans les rangs règnent la bonne humeur et la confiance ». Cependant, celui-ci se plaint de se que son commandant de compagnie (Mouraux) ne l'a « jusqu'à ce jour, mis au courant de rien. Très obligeamment, les lieutenants Jeannel et Hassler me tuyautent quand ils savent quelques chose car, eux aussi, sont souvent dans l'ignorance des événements ou des mouvements ».

Maunourri ajoute : « 4h00. Départ dans l'ordre normal des sections vers St-Mard qui est atteint une heure après. Le brouillard est de plus en plus épais, il fait froid et à peine jour » (…) « Des arrêts des à-coups et des ralentissements se produisent dans la colonne toujours en bon ordre. Près d'un couvent, des religieuses de St-Charles distribuent du lait, du chocolat, du café chaud aux soldats qui, avidement, tendent leur quart ».

 

Dès 6h30, les bataillons du 124e atteignent Virton. Le 3e est en tête et prend position autour des dernières maisons de Virton, sur la route d'Etalle. Le 1er se masse dans les rues de la ville et le 2e est en retrait sur la route de Dampicourt. La 2e compagnie est en position d'attente. Les premiers blessés des 115e et 130e RI déjà engagés affluent.

Hassler note : « On engage la division. Les mitrailleuses allemandes crachent. Nous voyons alors défiler quantité de blessés. Et ceci attriste les hommes ».

Même sentiment chez Maunourri : « Bientôt des blessés arrivent du champ de bataille. Un lieutenant du 130e, couché sur un brancard, pousse de faibles gémissements. Il a reçu une balle dans l'aine, le sang coule sous la toile du brancard. La vue de cet officier blessé fait courir un frisson chez nos hommes toujours calmes et silencieux ».

Pour Joubaire : « On voit passer des blessés, les uns au bras d'un camarade de combat, les autres couchés sur des brancards, tous ensanglantés et livides. J'aide un blessé du 130e à monter dans une salle de l'hôpital tenu par des sœurs françaises ».

 

Peu après 8h00 le 124e est engagé. Le 3e bataillon, en tête, est lancé dans la bataille. Afin d'appuyer le mouvement du 1er bataillon (qui doit se porter à droite du 3e), la 2e compagnie reçoit pour ordre d'occuper le cimetière et d'en faire un point d'appui pour soutenir l'action du bataillon en terrain nu.

 

Hassler décrit l'action : « Enfin on part. Nous allons nous engager au feu. Je reçois l'ordre d'aller occuper avec une demie-section la route qui passe derrière le cimetière. J'y vais et fais coucher mes hommes. Tout autour les balles sifflent et s'aplatissent sur le mur derrière nous. Quelle sale impression ! Elles retombent à nos pieds. Je suis debout, j'entre dans le cimetière, et vite je fais amener des charrettes, des planches, des tables pour organiser le mur qui est trop haut. A ce moment nous sommes rappelés en arrière ».

Le sergent-major Maunourri confirme : « La compagnie a pour mission de se tenir en réserve dans le cimetière. La 1er demie-section achevait à peine son mouvement que je vois refluer vers moi la section Hassler. N'allez pas plus loin, me dit cet officier, entrez dans le cimetière, même formation dans le déploiement. Et l'on pénètre dans le cimetière, la section Hassler déployée derrière le mur nord, ma section la protégeant à droite. Les sections Surzur et Jeannel viennent bientôt nous rejoindre. Les hommes, que cette première fusillade surprend plutôt qu'elle n'effraie, se blottissent contre le mur, sans un mot ».

Joubaire précise : « Nous en avons organisé le mur défensivement en faisant des créneaux ; comme le mur est élevé, nous avons amené des tonneaux sur lesquels nous avons posé des planches ; nous montons dessus. Soyez sans crainte, nous dit le lieutenant Hassler, il faudrait une balle sur mille pour vous atteindre. D'ailleurs, je ne leur en donne pas pour une heure avant d'être tous faits prisonniers dans ce bois ».

Maunourri indique que « le mur est organisé défensivement sous la direction du lieutenant Hassler qui fait percer des créneaux à coup de pic. Sur son ordre je vais quérir dans les maisons voisines des tonneaux et des planches pour nous permettre de tirer par dessus le mur en cas de besoin ». Il reprend également mot pour mot la phrase dite par le lieutenant Hassler.

 

L'offensive des 2e et 3e bataillons à été brisée vers 9h00. Les hommes de la 2e compagnie, solidement installés dans le cimetière, suivent le choc de l'assaut. Joubaire écrit : « Soudain notre charge retentit et couvre le bruit de la mitraille. Un frisson nous traverse ; nous sommes heureux ! C'est la victoire, pensons-nous ! Non ! C'est le 3e bataillon qui se faite massacrer, son chef en tête ». Le sergent-major Maunourri est effaré : « Le brouillard est entièrement dissipé bien qu'au loin on ne distingue que confusément les objectifs. La fusillade à laissé place à une violente canonnade de part et d'autre. Je regarde au dessus du mur et ne vois que des unités couchées dans les champs ; ça et là, un agent de liaison galope à toutes jambes. Des cris de blessés me parviennent, distincts ».

Le lieutenant Hassler est plus laconique : « Pendant deux heures nous restons là ».

 

Une contre-attaque menée par le 1er bataillon (moins la 2e compagnie) reste vaine.

 

Vers midi, le repli est décidé par le général Boëlle, commandant du 4e CA. Les débris de la 8e DI doivent occuper la position 280/Montquintin au sud de St-Mard.

 

La 2e compagnie n'a subi aucune perte. En l'absence du capitaine Mouraux, parti prendre le commandement du 1er bataillon suite à la blessure du commandant Lambert, c'est le lieutenant Hassler qui dirige la troupe : « Enfin, vers midi et demi ou treize heures, nous recevons l'ordre de quitter le cimetière et d'aller prendre position en arrière de l'artillerie, sur les crêtes qui dominent Virton ».

Pour Maunourri, le repli se fait vers 11h30 : « Un coup de sifflet du capitaine. Est-ce la marche en avant au secours des camarades ? Non ! C'est le repli sur Virton. Les sections quittent le cimetière une à une en colonne par deux. A peine les derniers hommes sont-ils sur la route qu'un fracas nous fait tourner la tête : c'est le mur qui nous abritait qui vient de s'effondrer sous les obus ».

L'anecdote du mur qui s'écroule est également reprise par le lieutenant Hassler et par le caporal Joubaire.

 

En conclusion, les témoignages sont assez peu divergents, mis à part quelques notations horaires qui sont bien explicables dans le feu de l'action. Le récit du sergent-major Maunourri semble s'être très largement inspiré de celui d'Alfred Joubaire publié en 1917. Des phrases sont notamment reprises mot pour mot. Il paraît en effet difficile à deux personnes, certes présentes au même endroit mais distraites par le son du canon, de retenir au mot près des phrases entières dites par une tierce personne. Ce qui prouve une fois encore que le témoignage reste d'un appui fragile.

 

Sources :

 

- Capitaine Hassler, Ma campagne au jour le jour, Perrin 1917

- Alfred Joubaire, Pour la France, Perrin 1917

- Mouvements de la 2e cie du 124e régiment d'infanterie les 21,22 et 23 août 1914. Combat de Virton. Capitaine Maunourri, Eclats de Mémoire, Association Bretagne 14-18

- Commandant Grasset, Virton in Revue Militaire Française, 1925.

 

  


20/01/2013
0 Poster un commentaire

Virton la bataille -1ère partie

 

Pour la journée du 22 août 1914, l’état major ne prévoit rien d’extraordinaire. La progression au devant de l’ennemi continue. Le 4e corps d’armée devra atteindre Etalle avec la 8e division et Saint-Léger avec la 7e. La mission sera d’attaquer vigoureusement toute troupe rencontrée. Chacun à l’impression que le vide se fait devant les troupes françaises et le colonel Laffargue pense même déjà à l’étape du soir : « la journée d’hier à été fatigante et sans ravitaillement, mais ce soir, nous allons avoir un bon cantonnement, et les hommes vont pouvoir se refaire » dit-il à l’un de ses chefs de bataillon.1 Partout, vers Virton, vers Latour, on a signalé des détachements ennemis peu importants qui se sont repliés devant les avant-gardes.

Ce n’est un secret pour personne que les hommes sont éreintés. Les marches et contre marches les épuisent. Dans ces conditions, le cantonnement d’Harnoncourt, après l’étape du 21 août, semblait être un palais des Mille et une nuits.

Le 124e de ligne a été alerté vers 3h20 du matin. Les copains s’ébrouent, tâtonnent à la recherche de leurs affaires. Certains grognent d’être ainsi sorti du sommeil sans ménagement. Il fait frais en ce petit matin du 22 août et un brouillard intense dissimule tout paysage aux alentours. C’est un changement de taille comparé à la journée de la veille où des trombes d’eau ont transi les hommes jusqu’aux os.

Les ordres du jour sont serrés. A 4h00, on part donc le ventre vide, sans même prendre le jus. Les hommes espèrent bien attraper quelques victuailles sur la route auprès des habitants. Depuis le passage de la frontière, les Belges sont magnifiques de prévenance et de gentillesse.

C’est le 130e régiment, bien secoué à Mangiennes, qui progresse en avant-garde. En marchant, la gaieté reparaît. Les hommes plaisantent, rient. Personne dans les rangs ne pense devoir livrer bataille aujourd’hui. Les locaux sont pourtant d’un autre avis, exhortant les français à la prudence. « Mon capitaine, ils sont là depuis quinze jours, autour de nous ; ils ont fait des forts… » disent les habitants à l’officier qui marche en tête. Un léger désordre enfantin règne au sein de la colonne.

 

 

 

 

 

Depuis la veille au soir, c’est le 115e RI de Mamers qui couvrent les mouvements de la 8e division. Ces bataillons sont positionnés en arc de cercle au nord de Virton.

Le 124e pénètrent dans la localité vers 6h30. Le jour s’est levé mais le brouillard ne se dissipe guère. Au sortir de la ville, on n’aperçoit pas les arbres bordant la route.

Ne pensant qu’à se ravitailler un peu, les hommes quittent la colonne et s’égaillent dans les rues à la recherche de nourriture. L’atmosphère est encore détendue et bon enfant. Certains boivent avidement un bol de café ou de chocolat versé par les riverains. On plaisante bruyamment. Soudain, on entend des coups de feu au loin. Puis d’autres. Une véritable canonnade semble se dessiner dans les abîmes. Un colonel s’énerve : « De tranchées, dit-il à un capitaine, il n’y en a pas plus que dans le creux de ma main ». L’angoisse monte. Ce ne sont que des patrouilles boches, disent les officiers.

 

 

 

 

 Carte in Grasset, Virton

 

 

 

En vérité, le 130e de Mayenne, tête d’avant-garde après sa nuit passée à Dampicourt, avait traversé Virton vers 5h00. Les hussards envoyés en éclaireurs venaient de se faire décimer. Sur le plateau de Bellevue, les compagnies du 115e RI, en grand’garde, débordées, lâchaient pied à leur tour et refluaient vers Houdrigny. Sans compte rendu précis de la situation, ordre fut donné au 1er bataillon du 130e (de Busserolles) de pousser vers Etalle comme les ordres le prescrivaient.

En quelques minutes, dans un brouillard insondable, ce bataillon allait disparaître corps et bien à la lisière sud du bois de Virton. Les capitaines Besson (1ère), Le Borgne (3e), Capiat (4e), le lieutenant de Chaumontel (3e) et les sous-lieutenants Batel (1ère), Guichard (2e) et Hyon (3e) sont tués. Les lieutenants François (2e), Gambiez (4e) et le sous-lieutenant Théry (4e) sont portés disparus.

 

Dans la localité, la disparition du 1er bataillon laisse perplexe. On décide d’engager la 8e compagnie à sa droite. Les hommes s’enfoncent dans la brume sous les ordres du lieutenant Visbecq. A leur tour, ils ne donneront plus signe de vie. Pourtant, à la brigade, on ne croit toujours pas les allemands en nombre. « Dites donc au colonel Laffargue que l’ennemi ne peut pas être en forces, clame le colonel Chabrol, qu’il pousse ferme sur Etalle ». Vers 6h45, commencent à débouler des groupes de blessés vers Virton. L’entrée nord-est de la ville, criblée de balles, accueille pourtant les équipes de la Croix Rouge locale venues prêter main forte aux brancardiers divisionnaires. On procède aux premières évacuations sur différents établissements de la ville.

 

Malgré cela et conformément aux ordres, le 130e tout entier est lancé en avant. Le bataillon Fadat (2/130) part vers Robelmont, le bataillon Boureaux (3/130) sur la route d’Etalle. Une violente canonnade les accueille. La fusillade est intense. Au 2e bataillon, le commandant Fadat est blessé. Le capitaine Thannberger, qui vient de le remplacer, est tué. Le capitaine Le Faon (5e) et le sous-lieutenant Girard (9e) tombent eux aussi. Le lieutenant Pacoule (7e) est grièvement blessé. Les sections de mitrailleuses ont elles aussi perdues leurs chef : les lieutenants de Pontbriand et de Sagazan.

Le 3/130 est tout aussi atteint. Les capitaines Wurtz (12e), Gehin (11e), les sous-lieutenants Chabrun (11e), Dubourg (11e), et Relie (10e) sont blessés. Le capitaine de Goer (9e) et le sous-lieutenant Girard (9e) sont tués.

 

Le colonel Laffargue, commandant le 130e, tombe frappé d’une balle à la tête. Obusiers et canons allemands labourent le terrain. Les compagnies françaises sont surprises et plient sous le choc. Le colonel Chabrol, commandant la 15e brigade, tombe à son tour sur la route, le sabre à la main. En quelques instants, les bataillons du 130e perdent presque la moitié de leur effectif.

 

 

 

Artillerie, Virton 22 août 1914, Ministère des Armées

 

 

 

Au même moment, dans Virton, les gars du 124e ne rigolent plus. Chacun peut entendre distinctement la bataille qui fait rage au nord. Des blessés de plus en plus nombreux, traversent la localité, enrubannés de pansements souillés. « Voilà maintenant une demi-heure qu’on tiraille dans le brouillard sans rien voir, et les munitions se font rares » lance un officier allongé sur un brancard. L’énervement et l’angoisse se lit sur les visages. Les gradés achèvent tranquillement la distribution des cartouches. Au loin, le combat s’intensifie.

 

A 8h00 passé, le colonel Fropo reçoit du général Boëlle l’ordre d’engager le 124. Le 3eme bataillon du commandant Favier est en tête. Favier est une force de la nature, qui en impose avec sa haute taille, sa large moustache et son front immense. Breveté d’Etat Major, il a refusé de quitter son bataillon pour une place plus douillette de scribouillard, c’est dire le caractère du personnage. Ses compagnies se déploient en silence sur un terrain de chaumes, à cheval sur la route d’Etalle. Les hommes se glissent parmi les meules dans un brouillard intense. A la hauteur des réservoirs, on forme une ligne de feu prête à recevoir l’ennemi.

Le 2eme bataillon s’avance à son tour pour occuper la gauche du 3eme, vers le mamelon 260, entre le chemin d’Houdrigny et la route d’Etalle. L’unité est commandée par le chef de bataillon Brunet, un ancien colonial récemment blessé au Maroc d’une balle dans la cuisse. Brunet est un taiseux et dont le flegme est légendaire. Les compagnies manoeuvrent si facilement que Brunet ne croit pas l’ennemi en forces. Il pousse ses hommes jusqu’à la crête en face. Soudain un tir de barrage formidable se déclenche. On compte les premiers blessés. Brunet ordonne de faire demi tour et abrite son bataillon dans les avoines en contrebas.

 

Le 1er bataillon du commandant Lambert, qui devait initialement pousser à droite du bataillon Favier, est finalement gardé en réserve non loin du cimetière par le colonel Fropo pour qui la situation ne dit rien qui vaille.

 

Devant le front du 3eme bataillon rien ne bouge. Favier comme Brunet estime l’ennemi peu nombreux et facile à déloger. Avec ses officiers, il décide d’une attaque rapide et énergique. On ne sait pourtant rien de l’ennemi et aucune reconnaissance n’est effectuée.

Les clairons sonnent la charge. Comme à la manœuvre, les paysans de l’Ouest s’élancent baïonnette au canon, précédés de leurs chefs sabre au clair. Parvenus à la crête, les gars sont bloqués par une large haie et un réseau dense de fil de fer. On s’agglutine dangereusement à la vue de l’ennemi. Soudain, c’est le drame. Un feu nourri de mitrailleuses et de fusil s’abat sur les français. C’est un carnage. Favier tombe mortellement atteint. Tous les officiers sont mis hors de combat en quelques minutes : tués le capitaine de Clercq (10e), le sous-lieutenant Marchand, blessés le lieutenant Bugnet, le sous-lieutenant Guilbert.

Les débris du 3eme bataillon refluent en désordre derrière la crête et s’établissent tant bien que mal en position défensive.

 

Au même moment, au 2eme bataillon, Brunet imite Favier et lance ses hommes à l’attaque. Il reçoit le même accueil que son camarade et l’attaque est elle aussi avortée. On s’abrite derrière les meules et on creuse le sol avec des outils de fortune.

La 8eme compagnie du capitaine Lemaire, qui vient tout juste de rejoindre, tente une ultime offensive. Son allant entraîne le bataillon dans son entier. Mais le brouillard se lève et laisse apparaître un soleil radieux posé sur un ciel clair. Les pantalons rouges se dévoilent dans les avoines fauchées. C’est une hécatombe. Les mitrailleuses crépitent, les balles sifflent de tous côtés. Le commandant Brunet tombe à son tour. Là encore, les cadres de la 8eme compagnie sont décimés. Les morts jonchent le sol. Les survivants de l’attaque s’enfuient par groupes, sans chefs, vers leurs positions de départ.

 

 

 

 

 

 

Dans le centre de Virton, c’est une pagaille monstre. Les jeunes soldats égarés se mêlent aux blessés de toute sorte. Le groupe de brancardiers divisionnaire évacue les poste de secours les uns après les autres vers les hôpitaux, couvents et hospices installés dans la ville.

 

Pour le colonel Fropo, il devient urgent de dégager ses deux bataillons. Vers 9h00, le chef de corps du 124 ordonne au bataillon Lambert d’exécuter une contre attaque vers la côte 265. Les hommes parcourent le chemin creux du mamelon pour se placer face au plateau. On sonne la charge une fois de plus. Et une fois de plus c’est un mur de mitraille qui accueille les troupes françaises. Aux balles se mêlent désormais les obus d’une artillerie installée à la lisière des bois. Le commandant Lambert est touché. Devant l’impossibilité de déboucher, il est décidé de s’enterrer face au nord à la hauteur des Réservoirs.

 

Au même moment, à la gauche du 124e, par l’application d’un ordre mal compris, le 2eme bataillon (Graff) du 115e RI abandonne la côte 265 à l’ennemi en retraitant vers l’ouest de Virton. Moins de 15 minutes plus tard, ordre lui est donné de réoccuper ses anciennes positions. Mais entre temps, l’allemand est arrivé à la crête. L’attaque préconisée pour reprendre le terrain perdu échoue. Peu après 10h00, le commandant Graff n’a d’autre solution que de replier ses compagnies. Au cœur de cette troupe usée chemine un jeune officier lavallois de 25 ans. Emile Launay est sous-lieutenant à la 7e compagnie du 115e de ligne. Engagé volontaire en 1907, il a franchi tous les échelons pour finalement entrer à l’Ecole Militaire d’infanterie de Saint-Maixent en 1912 (Promotion Lutzen 1912-1913).

 

Au 124e, les isolés se maintiennent sur la crête militaire au prix de pertes considérables. Tout mouvement est impossible. L’artillerie et les mitrailleuses prussiennes battent le terrain méthodiquement. Les gars sont écrasés tant par le feu ennemi que par la chaleur accablante de cette fin de matinée.

Alors que le bataillon Lambert s’engage vers 265, une offensive du 117e RI sur Robelmont ne parviendra pas à dégager le dispositif. La 8eme division ne débouchera plus sur le plateau de bellevue.

 

Vers midi, la mort dans l’âme, le général Boëlle ordonne le repli des troupes sur la côte 280, au sud de Saint-Mard. Au 124e, cet ordre consacrera la dislocation des unités. Les compagnies, isolées les unes des autres rejoindront comme elles le pourront. Le 130e est encore plus mal en point. Il est littéralement désagrégé. Il ne reste que 8 officiers encore debout.

 

L’évacuation de Virton est une course contre la montre. La ville est gonflée de soldats hagards, perdus. Les blessés sont innombrables. On les dirige avec des moyens de fortune vers Saint-Mard puis Harnoncourt et enfin Lamorteau. Tout est bon pour les transports : brouettes, brancards, voitures légères. Le service de santé de la division va fonctionner jusque vers 17h00, prêtant son concours aux multiples installations sanitaires civiles de Virton. Les voitures d’ambulance de la Croix Rouge continueront, même bien après le repli français, à rejoindre, par des voix détournées, les services divisionnaires pour y déposer des blessés évacuables laissés dans les hôpitaux de la ville. Certains blessés sont recueillis par les habitants eux-mêmes et conduits sur des chariots aménagés. Mais tous n’auront pas cette chance. Le lendemain, le médecin chef du groupe de brancardiers du 4e Corps devra se rendre à nouveau à Virton, vide d’ennemi, pour se rendre compte par lui-même du nombre de blessés français et allemands qui s’y trouvent encore et du personnel et matériel nécessaires pour les soigner. Les habitants de Virton sont débordés. Ils ne sont que 4 médecins civils à bout de force et 50 infirmières pour s’occuper de plusieurs centaines de blessés.

 

 

1 Cité par Grasset in Une bataille de rencontre, Virton.


13/11/2011
0 Poster un commentaire