Dans le petit cimetière communal d'Haudiomont dans la Meuse, existe un carré militaire comprenant 12 sépultures. Parmi celles-ci, figurent quatre soldats du 330e régiment d'infanterie tombés lors des combats de Marchéville en avril 1915. Outre Robert Herzt que nous avons déjà évoqué ici, trois Mayennais reposent en cette terre lointaine. Fait coquasse, Ernest Launay et Alphonse Lefeuvre étaient nés la même année dans le même village.
Ernest Launay, soldat au 330e RI, né le 19 juin 1880 à St Thomas de Courceriers, Mort pour la France le 14 avril 1915.
Jean Pollet, sous-lieutenant au 330e RI, né le 4 mars 1883 à Ambrières. Il est mentionné comme étant étudiant en droit au moment de son incorporation. Engagé volontaire pour 3 ans à la mairie de Mayenne en 1903. Envoyé dans la disponibilité en 1904. Caporal en 1904, sergent en 1905, sous-lieutenant en 1909. Habite Ambrières en 1908. Rappelé à l'activité par décret du 1er août 1914. Arrivé au 130e RI le 3 août. Mort pour la France le 13 avril 1915. Commandait la 17e compagnie à Marchéville. Le père de Jean Pollet, chevalier de la Légion d'Honneur, était un ancien officier de mobiles en 1870 et habitait le le château de Louisewal à Ambrières.
Alphonse Lefeuvre, né le 30 juillet 1880 à St-Thomas-de-Courceriers. Cultivateur au moment de son incorporation. Engagé volontaire pour 3 ans à la mairie de Mayenne en 1900. Passé dans la réserve de l'armée d'active en 1903. Caporal en 1901, sergent en 1902, adjudant en 1910. Habite Paris (12e) en 1905. Rappelé à l'activité par décret du 1er août 1914. Arrivé au 130e RI le 4 août. Promu Sous-lieutenant à titre temporaire à dater du 3 février 1915. Mort pour la France le 13 avril 1915.
Sources :
Fiches matricules Archives Départementales de la Mayenne (R1503, R1517)
Echo de la Mayenne du 4 mai 1915.
Robert Hertz, ethnologue, disciple d'Emile Durkheim et de Marcel Mauss, est né à Saint-Cloud le 22 juin 1881. Admis à l'Ecole Normale Supérieure en 1900, reçu premier à l'Agrégation de philosophie de 1904, il s'oriente très tôt vers la sociologie. Créateur des Cahiers du Socialisme en 1908, il collabora à divers revues scientifiques. En août 1914, il est mobilisé au sein d'une unité territoriale. Volontaire pour passer dans l'active, il rejoint le 21 octobre 1914 le 330e RI. Sous-officier pendant un temps, il est nommé sous-lieutenant le 3 avril 1915. Le 12 avril 1915, il est engagé avec sa compagnie (la 17e commandée par le lieutenant Pollet ) à l'assaut de la côte 233 à Marchéville et tombe dès les premières minutes.
Sa dernière lettre à son épouse Alice est datée de la veille : "Chère Alice, Je vais très bien. J'ai eu le plaisir de rencontrer hier Henri Lévy-Bruhl gras et rose. Il fait plus beau. Je tâcherai de t'écrire demain si je puis. Porte-toi bien, aie confiance. Tendresses."
Con corps repose aujourd'hui au sein du petit carré militaire du cimetière communal d'Haudiomont dans la Meuse (55).
Depuis les premiers mois de l'année 1915, le 330e régiment d'infanterie tient le secteur de Watronville et du bois de Braquis dans la Woëvre. Le 2 avril 1915, le régiment est relevé par les unités du 1er CA qui s'apprête à attaquer.
Une action en direction générale de Woël est décidée pour le 6 avril 1915 par le général de Morlaincourt commandant la division de marche de Verdun, à laquelle le régiment est rattaché depuis la fin septembre. Le jour dit, le 330e est placé en réserve de division. Dans la nuit sombre du 7 au 8 avril, le 166e RI attaque la côte 233 sur un terrain détrempé. Les 21e et 24e compagnies du 330 appuient le mouvement aux deux ailes sur Champlon et Riaville. Les mitrailleuses sont au moulin de Saulx. L'attaque ne débouche pas.
Le mouvement reprend le 9 avril. Le 5/330 se met aux ordres du lieutenant-colonel Hayaux du Tilly du 166. Le 5e bataillon du commandant Jacquinot à pour mission d'organiser le terrain à la suite des vagues d'assaut du 166e RI. Très vite, ce dernier est refoulé laissant le 330e sous un déluge de feu au milieu de la plaine. Le bataillon ne pourra faire mouvement qu'à la tombée de la nuit. L'action a échouée.
Mais le général Gérard, commandant le 2e CA, tient à la prise de la côte 233.
Fond de carte SHD Terre 26 N 792
Le 12 avril 1915, le 330e RI revient à Fresnes. Cette fois, le 5e bataillon du commandant Jacquinot est en 1ère ligne. Il sera bataillon d'attaque. Les 22e et 23e compagnies du 6/330 viennent le renforcer. Les 21e et 24e compagnies qui étaient de l'action du 8 avril sont maintenus en réserve.
A 19h00, le bataillon Jacquinot relève le bataillon Bigot du 165e RI (3e bat.).
Dans la nuit du 12 au 13, des patrouilles reconnaissent les brèches des réseaux, l'état des parapets.
Au lever du jour, les éléments avancés reculent pour permettre à l'artillerie de faire ses tirs de démolition. L'objectif de la division de marche est de s'emparer du saillant B de l'organisation de la côte 233, puis de coopérer à la prise de Marchéville en attaquant par les lisières ouest et sud du village en même temps que la 3e DI.
Le 5/330 est en position dès 6h00 dans la boue glacée. La plaine marécageuse ne se prête pas aux tranchées profondes. Deux compagnies avec une section de mitrailleuses et une section de volontaires se terrent dans la nouvelle tranchée d'approche en galbions. Deux autres se tiennent en seconde ligne dans les tranchées 15-16-17-18-19 et 13 avec une section de mitrailleuses entre 13 et 14. Les 22e et 23e du 6/330 sont en soutien sur P2.
Un sous officier du génie envoyé pour reconnaître les brèches, rend compte que 3 brèches paraissent ouvertes mais que n'ayant pu s'approcher à moins de 30 m du réseau, il ne peut rien préciser, d'autant plus qu'il n'a pu voir qu'à la lueur des fusées. Par ailleurs, il semble que les allemands ont travaillé pendant la nuit à réparer le réseau.
A 8h00, l'artillerie balaye les brèches puis attaque les parapets et les flanquements. A 11h20, ordre est donné au génie de faire déposer à la tranchée 17 les charges allongées destinées aux compagnies d'attaque.
Vers 13h00, le général commandant la 1ere brigade met en garde contre l'insuffisance des brèches faites dans les barbelés. Il lui est rétorqué, via la division, que les officiers « doivent pousser leur troupe en avant quelle que soit leur appréciation personnelle sur l'état des brèches, vu que cette appréciation ne peut être considérée comme sure, en raison des difficultés de l'observation à distance ».
Dès 14h40, le tir se fait rapide s'intensifie pendant près d'une demi-heure.
Le chef de bataillon georges-auguste Jacquinot, natif de Commercy (Meuse)
L'attaque se déclenche à 15h00. Les batteries allongent le tir de 200 m pour faire barrage pendant le mouvement de l'infanterie. Les compagnies sortent des tranchées à vive allure. Mais dès 15h30, elles sont clouées au sol par les tirs de mitrailleuses à une centaine de mètres en avant des gabionnades. A 16h11, reprise de la marche en avant par infiltrations. Le feu ennemi redouble.
A 18h15, ordre est donné de reprendre l'assaut. A droite le 5/330 sur les tranchées de la côte 233, à gauche 3 compagnies du 364e RI. Rien n'y fait.
A 18h20, on ordonne aux compagnies de seconde ligne de serrer sur celles de la 1ère pour laisser les tranchées de seconde libres pour l'arrivée des renforts.
A 20h00, les unités d'attaque du 330 n'ayant plus de cadres sont arrêtées à une centaine de mètres en avant des gabionnades. La côte 233 est prise mais elle coûte au 330e RI 40 tués et 150 blessés.
Les services de santé sont débordés. La veille, l'ambulance 3/2 avait fait mouvement sur Haudiomont pour fonctionner avec l'ambulance 1/72 près de la gare. Le groupe de brancardiers du 2e CA devra même fournir un détachement de renfort au GBD72.
Le commandant Jacquinot écrira quelques jours plus tard dans son rapport des opérations : « La progression est extrêmement rude, le feu de notre artillerie n'a éteint ni celui de l'artillerie ennemie, ni celui de l'infanterie, ni surtout celui des mitrailleuses. Nous sommes soumis à une grêle de balles et à un violent bombardement qui bouleverse les tranchées. Ainsi que l'avait reconnu, la nuit précédente, la section franche et que l'a signalé le matin même le lieutenant Bareth, commandant la 20e compagnie, le réseau est resté en grande partie intact. Dès le début de l'attaque, les 5 officiers des compagnies de tête furent tués ; le mordant des troupes, leur ténacité résistèrent à toutes les épreuves et, dépourvues de cadres, elles ne faiblirent à aucun moment ».
Sources :
Historique du 330e régiment d'infanterie
JMO des unités concernées dans la série SHD Terre 26 N