Moulin-sous- Touvent 1914


Nampcel 1914 : témoignage du sergent Joubaire

 

 

 

Parti comme simple sergent en août 1914 à la 2e compagnie commandée par le capitaine Mouraux, Alfred Joubaire vient d'être nommé fourrier le 12 septembre 1914.

 

 

Mardi 15 septembre,

 

Le matin nous arrivons dans un ravin profond ; c'est un long boyau appelé le Ravin de Moulin-sous-Touvent. Les compagnies sont groupées derrière le talus et dans le fond du ravin. Toute la journée on attend. Je suis auprès du capitaine Mouraux ; le capitaine Bertier passe, sa canne à la main, et cause à mon capitaine. A 4 heures je suis assis près du capitaine Mouraux. Soudain un petit bruit sourd. Le capitaine se dresse d'un bond et dégringole le ravin. Il est blessé à l'épaule. Aidé du capitaine P... , je le panse, et au prix de bien des efforts je le conduis à l'ambulance de Moulin-sous-Touvent. Plusieurs fois en cours de route il perd connaissance. Je le quitte ; il me dit au revoir, me souhaite bonne chance et je vais rejoindre le régiment. En revenant un obus éclate à mes pieds et pendant quelques instants me coupe littéralement la respiration. Le capitaine P... me crois touché et vient gentiment à moi me demander si je ne suis pas trop gravement blessé.

A 6 heures arrive un ordre : il faut attaquer. Mais les chefs de bataillon sont loin ; il est difficile et long de les prévenir. A 6 heures et demie survient le général de brigade D..., le regard furieux, qui reproche au colonel de n'avoir pas encore donné l'ordre d'attaquer : « Vous devriez déjà être partis », lui dit-il, d'un ton de reproche.

Alors sans prendre le temps d'envoyer les ordres aux chefs de bataillon, le colonel sort de son poste de commandement :  « Allez ! En avant ! En avant ! ». Il fait nuit, il pleut. Soirée lugubre. Nous n'avons rien dans le ventre. N'importe il faut partir. Alors dans la nuit on s'élance à l'assaut, la baïonnette haute. De toutes parts alors éclatent les cris rauquent de « En avant ! En avant ! ». Mais les Allemands ouvrent aussitôt un feu de mousqueterie et de mitrailleuses des plus terribles. De tous côtés les balles sifflent lugubrement. Les obus éclatent. L'ennemi dresse devant nous un véritable barrage de fer et de feu. On a l'impression très nette qu'il est impossible d'avancer ; et les hommes s'arrêtent après ce premier bond. Mais cela ne suffit pas ; il faut enlever la position de Nampcel qui est au bout du champ. Je suis auprès du colonel : « Allez dire à ces hommes d'avancer », me dit-il, en me désignant des unités qui sont couchées devant moi. Alors dans cette nuit sinistre je m'élance au milieu de cette effroyable mêlée et je hurle de toutes mes forces : « En avant ! En avant ! » Et tout le monde repart, électrisé. Une fois encore il faut s'arrêter, le feu est trop violent. Je me trouve à ce moment auprès du lieutenant Fourtier. Tous les deux nous sommes à genoux, prêts à repartir. Il me dit : « Mon pauvre Joubaire, je crois bien que nous ne reverrons jamais la rue de Bretagne ». Je ne répond pas, mais je garde malgré tout ma confiance. On se précipite encore pour un nouveau bond. Mais cette fois la mitraille est infernale. La mort fauche, fauche sans pitié. Il est impossible d'avancer plus loin. L'attaque s'arrête. Insensiblement la fusillade diminue d'intensité. Ce ne sont plus maintenant que quelques coups espacés qui crépitent dans la nuit. Puis petit à petit tout retombe dans le silence. Il semble, tant il est grand, que tous ces hommes qui tout à l'heure s'élançaient ivres, furieux, sont morts maintenant, qu'ils dorment tous pour toujours.

Après quelques secondes de repos je retourne vers le colonel prendre ses ordres : « Allez dire à toutes les fractions qui ont dépassé le chemin de se replier jusqu'au chemin et d'y creuser des tranchées. Il faut travailler toute la nuit ». Alors seul je repars encore une fois. Je vais jusqu'aux éléments les plus avancés ; parcourant tout ce front du régiment je transmets les ordres que je viens de recevoir. Tous nous sommes exténués. Toute la nuit les hommes travaillent. Je n'en ai pas la force. Je me couche sur place dans les betteraves mouillées près de la tranchée du lieutenant Fourtier, et la tête cachée dans mon sac allemand je m'efforce de dormir.

 

 

Alfred Joubaire, Pour la France, carnet de route d'un fantassin, Perrin 1917.

 

 

 

 

 


16/09/2012
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Nampcel 1914 : témoignage de l'adjudant Deslande

 

 

 

 

 

 

Voici la lettre que l'adjudant Jean Deslande adressa à un ami après sa blessure devant Nampcel. L'abbé Deslande, né à Fougères le 4 juin 1891, sera tué le 19 février 1915 lors des combats de Perthes. Sergent en août 1914, il est nommé adjudant le 10 septembre. L'historique du 124e précise qu'il fut achevé par une balle alors qu'il gisait déjà blessé au sol. Le rédacteur précise « en levant son képi, il crie à son chef de bataillon :  « Mon capitaine, vive la France ». Dans un entrefilet paru dans l'Echo de la Mayenne en date du 1 octobre 1915, on peut lire que « le père Deslande a du être inhumé dans sa dernière attitude, signalée par l'ordre du jour, car il n'a pas été possible de ployer ce bras fixé par la mort dans une rigidité absolue ».

 

 

24 septembre 1914.

 

J'ai été blessé, le 15 septembre, à l'attaque du village de Moulin-sous-Touvent. Un peu en éminence sur un très vaste plateau, cette position était très fortifiée par des tranchées de toutes sortes. Alentour, d'immenses champs de betteraves de plusieurs kilomètres carrés. Nous passâmes une partie de la journée dans ces champs, tapis derrière de petits abris de terre que nous installions. Balles et obus chantaient autour de nous dans des tonalités différentes. Un moment je reçois l'ordre de me porter en avant avec ma section. Nous partons par bond, mais voilà qu'au bout d'un moment la compagnie qui me couvrait à gauche, recule ; je m'arrête donc et me retranche sur place. Nouvelle station prolongée dans le champ.

Mon ami B... et moi, nous nous mettons à causer, en examinant l'horizon. Nous causions ainsi depuis dix minutes, quand un obus vint se mêler à notre entretien, en nous renversant tous les deux. Mon compagnon était atteint au bras gauche, peu grièvement. Pour moi, j'avais reçu un éclat en pleine tête, et j'eus, pendant une minute, quelque inquiétude sur la solidité de ma boite crânienne. Mais non, pas une égratignure, une bosse tout au plus, voilà ce que peut un obus allemand sur une tête de breton.

Pourtant, à la tombée de la nuit, on nous dit d'enlever le village à tout prix. On n'y voyait plus, nous risquions de nous embrocher les uns les autres, tandis que les canons et les mitrailleuses allemandes étaient réglés depuis longtemps sur notre parcours. Tous nos chefs, capitaines et lieutenants, s'en rendaient compte ; ils ont obéi sans broncher. De fait, cette attaque ne réussit pas. Pour moi, au bout de 800 mètres, je tombais, frappé dans la basse poitrine par une balle qui me traversa de part en part. Entrée un peu à gauche, sous la dernière côte, elle sortit par me côté droit, un peu au dessus des reins.

Je souffrais vivement et, de prime abord, je crus ma dernière heure arrivée. Je me fis donner mon crucifix et me préparai à mourir. Mon Dieu, je n'eus pas de peine à faire mon sacrifice ; ce qui m'arrivait, je l'avais souvent prévu et j'étais parvenu à dégager, de l'appareil brutal du champ de bataille, l'appel plus doux de Notre-Seigneur.

Au bout de quelques minutes, mes hommes me proposèrent de me porter un peu à l'écart. J'acceptai pour être plus tranquille, puis voyant que je gardais toute ma lucidité, j'accédai au désir de deux braves gens qui voulaient absolument me sortit de là ; je leur dois la vie. Chargés déjà de leur sac et de leur fusil, ils se mirent à me véhiculer à travers les betteraves. Cette marche dans la nuit, avec un pareil fardeau, leur comptera pour le ciel. A moi aussi, j'espère, car leur bonne volonté ne me mettait pas à l'abri des secousses.

Mais où aller ? Après de vaines recherches, on se décida à attendre le jour. Nuit pénible, coupée de longues averses.

A l'aube, mes gens apprirent qu'un poste de secours se trouvait à 2 kilomètres. J'y arrivais éreinté, mais sans fièvre et sans vomissement. Au premier major qui me vit, je demandai la vérité entière. « A priori, avec votre teint et votre pouls, vous devez vous en tirer, surtout si vous êtes blessé depuis douze heures, mais vous avez de la chance. »

Dans la soirée, j'étais transporté à l'ambulance principale, assis dans une mauvaise voiture : ces messieurs les Allemands ne dédaignèrent pas d'envoyer quelques obus sur notre convoi. 

 

 

Lettre publiée dans l'ouvrage de Léonce de Grandmaison, Impressions de guerre de prêtres soldats, tome 1, Plon 1916.

 


15/09/2012
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15 septembre 1914 : le 124e RI bloqué devant Nampcel

 

Le mardi 15 septembre 1914, par ordre du 4e CA, la 8e division d'infanterie (moins la 16e brigade qui cantonne dans la région Chevincourt/Elincourt) doit attaquer sur le front compris entre la route Tracy-le-Mont/Nampcel et la direction Ecafaut/côte 164/côte 155 vers le sud de Nampcel et Belloy.

 

 

 

 

 Fond de carte SHD Terre 26 N 109

 

 

 

 

Le 14 au soir, le 124e RI cantonnait à Quennevières et à la ferme de l'Ecafaut. Le 130e occupait Bailly. Le groupe sanitaire de la 8e DI (brancardiers et ambulance N°5) est installé à MorenvaL.

Le 124 se met en marche à 4h30 vers Nampcel. Le 3e bataillon est en tête. A 5h30, malgré la pression d'une attaque ennemie, le 124 a pu atteindre le chemin de la ferme des Loges à Puiseux mais est arrêté devant une ligne de tranchées en avant de la côte 164. Le régiment gagne le ravin allant de Moulin-sous-Touvent à la ferme des Loges et s'y rassemble vers 14h00. Vers la même heure, le 130e se porte en réserve sur Offemont.

 

Le 2e groupe du 26e RAC appuie l'action. Depuis 6h00, les batteries sont en place entre la Maison de garde du parc d'Offemont et la ferme de Quennevières. A 9h30, le groupe se déplace pour occuper une zone entre la ferme de Quennevières et celle des Loges, à cheval sur le chemin de Puisaleine. Il ouvre le feu sur les lignes de tranchées allemandes à l'ouest de Nampcel.

 

A 20h00, sous une pluie torrentielle, le 124 passe à l'attaque et se lance contre les positions ennemies établies à l'ouest de Nampcel. Tout le régiment y prend part, y compris la CHR et le Drapeau. Le 4e batterie du 26e RAC tire sur une section de mitrailleuses signalée à l'ouest de Nampcel vers la côte 158. Dès le début, les compagnies se trouvent prises sous le feu de l'artillerie et des mitrailleuses. Les hommes éprouvent de grandes peines à déboucher. Après 600 mètres de progression, ils sont stoppés et se retranchent en creusant des tranchées.

 

 

 

 

 

 

Le capitaine Le Bourgeois de la 3e compagnie disparaît dans la mêlée. Son camarade, le capitaine de Bertier de Sauvigny de la 11e compagnie succombe également à l'assaut. Depuis Ecafaut, le groupe de brancardiers relève les blessés des postes de secours régimentaires vers les ambulances de Tracy-le-Mont.

Le soir, la 15e brigade bivouaque dans le ravin. Durant trois jours, les hommes resteront cloués sur ces positions précaires. Le 124e RI ne quitera le secteur que le 19 au matin.

 

 

Sources :

 

- JMO des unités concernées dans la série SHD Terre 26 N

- Historique du 124e RI

 

 

 

 

 

 


09/09/2012
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Article sans titre

 

Voici quelques photographies de sépultures de combattants du 124e RI tombé lors des combats du ravin de Moulin-sous-Touvent du 15 septembre 1914. Ces clichés ont été pris par notre ami Jean-Michel Nowak à la Nécropole Nationale "Tracy-le-Mont". Qu'il en soit ici chaleureusement remercié.

 

 

LEROUX henri, né le 2 février 1880 à la Cropte. Classe 1900. Cultivateur. Disparu à Villers-devant-Dun le 30.08.1914.

Précédement inhumé à Nampcel. Tranféré le 23.02.20

 

 

 

POLPRE Edouard, né le 3 septembre 1891 à Saint-Martin-de-Commer.

Affecté à la 3eme compagnie/124e RI. Mort pour la France le 24.09.1914 à Billancourt.

 

 

 

MENEUX Auguste, né le 22 octobre 1883 à Livré.

Mort pour la France le 24.09.1914 à Cressy dans la Somme.

 

 

 

CORMIER Ernest, né le 22 février 1882 à St-Christophe-du-Luat.

Mort pour la France le 27.09.1914 à Billancourt.

 

 

 

ROCHER Henri, né le 8 décembre 1880 à Parné-sur-Roc. Cultivateur.

Précédement inhumé à Nampcel. Tranféré le 23.02.20

 

 

 

MAHERAULT Albert, né le 30 mars 1891 à Chantrigné.

Mort pour la France le 24.09.1914 à Billancourt.

 

 

 

FORGIN Henri, né le 12 février 1882 à Changé.

Mort pour la France le 15.09.1914 à Roye.

 

 


15/05/2011
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