Les disparus (1) : lorsqu'un fils réapparait

 

 

 

 

Le 14 mai 1924, la préfecture de la Mayenne reçoit une lettre datée du 11 mai (postée le 12) du sieur Rion Marcel, charpentier à Pinon dans l'Aisne. Cette missive, écrite sur un papier à carreaux d'écolier, est d'une touchante simplicité :

 

« Monsieur le préfet,

J'ai à vous signaler que je viens de retrouver la tombe du soldat Maurice Reffray 4e mixte à Laval, classe 1909.

Je me fais un devoir de vous envoyer cette petite indication que j'ai pu recueillir sur la tombe. Dans la position où elle se trouve, ce soldat a du être porté disparu, ou n'a jamais été retrouvé. Son corps se trouve exhumé sur le territoire de la commune de Chavignon, entre la carrière Montparnasse et le fort de la Malmaison.

Veuillez donc faire rechercher les parents et les avertir.

Pour plus amples renseignements je me tiens à votre entière disposition, ainsi qu'à celle des parents.

Veuillez bien me tenir au courant de votre enquête, je vous en remercie par avance.

Agréez monsieur le Préfet mes sentiments les plus respectueux. M. Rion

 

La « petite indication » dont parle Marcel Rion est la plaque patronymique en métal qui se trouvait fixée sur la croix de bois. Il eut la bonne idée de la joindre à sa lettre en la glissant dans l'enveloppe. On peut encore y lire facilement l'identité du défunt.

 

 

 

 

 

 

1- La procédure administrative

 

Le 21 mai 1924, la préfecture fait suivre le courrier au bureau de recrutement de Laval afin que celui-ci fasse connaître la filiation du soldat Reffray. Par retour du 24 mai, le commandant du recrutement de Laval informe les services du Préfet que Maurice Reffray est né le 26 février 1889 à Château Gontier, fils d'Armand Théophile et de Bouvet Marie Aline, domiciliés à Château Gontier.

Par ailleurs, la dernière adresse connue de Maurice à la date du 27 avril 1914 était 28 rue Lecourbe Paris 15e.

 

Le même 24 mai 1924, la préfecture adresse un courrier à la sous-préfecture de Château Gontier en vue d'obtenir d'éventuels renseignements sur les descendants. Le 7 juin 1924, les services du sous-préfet font connaître que la mère de Maurice Reffray réside à Château Gontier, rue Chevreul et qu'elle a été avisé de la découverte de la tombe de son fils. Ils ajoutent que la veuve de Maurice est domiciliée à Paris, 347 rue de Vaugirard, chez monsieur Girard, pharmacien.

 

La veuve est informée de la découverte du corps le 13 juin 1924.

Le 14 juin 1924, la préfecture de la Mayenne communique à Marcel Rion les informations qu'elle a collectée depuis un mois.

 

2- Qui est Maurice Reffray ?

 

Le recensement de 1906 indique que son père (né en 1856 à Saint-Denis-D'Anjou) est tailleur. Sa mère (née en 1855 à Chambellay) n'a pas de profession enregistrée. Maurice est coiffeur exerçant chez Pellerin. La famille habite rue Chevreul (en 1924 Marie réside toujours au même endroit).

 

La lecture de sa fiche matricule nous apprend qu'en réalité son père, Armand, est déjà décédé en 1910. Maurice exerce encore, au moment de son appel sous les drapeaux, la profession de coiffeur.

Il est décrit comme ayant les cheveux noirs, les yeux roux et le nez assez fort. Il mesurerait 1m60.

Suite au décès de son père, Maurice est déclaré soutien de famille.

Notre coiffeur est incorporé au 115e régiment d'infanterie en octobre 1910. Il est renvoyé dans ses foyers en septembre 1912 et passe dans la réserve en octobre.

Il se retire alors à Paris, 7 rue Eugène Süe dans le 18e arrondissement.

 

 

 

 

La plaque métallique envoyée par Marcel Rion

(Archives Départementales de la Mayenne 3 R 428)

 

 

3- La guerre

 

Maurice Reffray est rappelé à l'activité par suite de la mobilisation générale le 3 août 1914.

Il est blessé par une balle au poignet gauche le 20 février 1915 alors que le 115e régiment d'infanterie est engagé devant Perthes-les-Hurlus à l'attaque du bois 3.

Dans un entrefilet de l'Echo de la Mayenne daté du 9 mars 1915 on nous apprend que « coïncidence étrange, c'est M. le docteur Morisseau de Château Gontier qui lui a fait son premier pansement ».

 

Guéri, Maurice passe au 4e régiment de Zouaves le 2 juin 1915 qu'il rejoint dans le secteur de Nieuport. Le 14 novembre 1915 nouvelle affectation au 4e mixte de zouaves-tirailleurs constitué en juin 1915 par la réunion de 2 bataillons du 8e régiment de tirailleurs et d'1 bataillon du 4e zouaves.

Après, Verdun en 1916, le 4e mixte se retrouve dans l'Aisne en 1917.

Le 25 avril 1917, le régiment résiste vaillamment à une attaque autour de la ferme d'Heutebise.

Maurice Reffray est cité à l'ordre du régiment le 27 juin 1917 :  «  A sous une grêle de grenades, secouru son capitaine mortellement blessé et l'a transporté ».

 

Le 23 octobre 1917, le 4e mixte attaque dans le secteur de La Malmaison au sein d'une vaste opération d'ensemble. La veille, le brouillard avait été très intense dans la matinée et la pluie lui avait succédé.

Le mouvement s'opère au jour naissant.

 

Successivement  le bataillon Meffrey (tirailleurs) enlève les tranchées de la Fourragère Jaune, du Grisou et à 5h45 le premier objectif est atteint (la tranchée de la Danse). Le bataillon s'organise sur le terrain conquis. Le point 4143, à l'ouest du boyau de la Rancune, résiste toujours. A 9h15, le bataillon Dhomme (zouaves) s'élance à son tour de la Danse sur la tranchée de la Lusace et le Bois de la Garenne. Les 22e (cie Pauchon) et 23e compagnies (Humbert) partent de front. Les mitrailleuses allemandes du 2e régiment de grenadiers de la Garde font de nombreux morts. Peu après 9h15, la position de la Lusace est prise. Une compagnie du bataillon Dhomme (cie Schaeffer) s'engouffre dans le ravin de Chavignon avec mission de progresser vers Chavignon, alors que le gros du bataillon continue sur la lisière est du Bois. A 9h45, le bataillon Dhomme atteint le chemin creux et la carrière ouverte 48.48. Vers 11h00, les troupes atteignent le mont des Tombes et à 11h45 elles dépassent Chavignon, réalisant ainsi une avance de plus de 3 km.

 

1750 blessés seront évacués ce 23 octobre 1917 sur les postes de secours d'Aizy et de Vailly. Ce sont les brancardiers du GBD38 qui assureront l'ensevelissement des tués trouvés sur le terrain et l'assainissement du champ de bataille.

 

 

 

 

 (Fond de carte SHD Terre 26 N 868)

 

 

 

 

4- La mort de Maurice Reffray

 

Marcel Rion précise qu'il a trouvé le corps de Maurice Reffray « sur le territoire de la commune de Chavignon, entre la carrière Montparnasse et le fort de la Malmaison », c'est à dire au delà du premier objectif de l'attaque, qui est la tranchée de la Danse. Comme nous l'avons vu, celle ci est atteinte vers 5h45. A 9h15 le bataillon Dhomme se lance sur la tranchée de la Lusace. La carrière 48.48 est atteinte vers 9h45. Il est donc fort probable que Maurice Reffray soit décédé entre 9h15 et 9h45, et sans doute peu après 9h15 compte tenu de la courte distance qu'il y a entre les Carrières de Montparnasse et la tranchée de la Danse. L'hypothèse la plus plausible est qu'il ait franchi avec ses camarades le 1er objectif, puis soit tombé lors de la progression le long du Bois de la Garenne. Faisait-il partie de la compagnie progressant dans le ravin de Chavignon après la prise de la tranchée de la Lusace ? Est-il tombé lors de l'attaque de cette tranchée ? Ou bien lors de l'avance le long de la lisière est du bois de la Garenne ? Des mitrailleuses placées dans des trous d'obus occasionnèrent de nombreuses pertes aux assaillants lors de cette phase de l'opération.

 

 

Sources :

 

- Dossier Archives Départementales de la Mayenne, cote 3 R 428

- Fiche matricule, AD 53

- Archives en ligne AD 53, listes numérisées de recensement

- Historique du 4e régiment de zouaves-tirailleurs

- JMO des unités concernées dans la série SHD Terre 26 N

- Echo de la Mayenne, AD 53, cote 1 Pe 34

 

 

 



06/10/2012
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