Vie et mort de Paul Lintier 1893 - 1916

 

 

Dominique Rhéty, grand spécialiste de Paul Lintier, nous a fait l'amitié de dresser pour nous le portrait de ce mayennais fou de littérature disparu dans les combats meurtriers du début 1916. Hommage admiratif.

 

 

 

Paul Lintier est sans doute le plus connu des poilus mayennais. Il nous a laissé un témoignage de premier ordre sur la guerre d’un artilleur de campagne.

Il nait à Mayenne le 13 mai 1893 dans une famille de notables locaux.

Son père, prénommé Paul lui aussi a fait prospérer, en association avec son frère Louis, le négoce de vin et spiritueux dont ils avaient hérité. Il a été maire de Mayenne de 1898 à 1910, et c’est Louis qui lui a succédé à ce poste.

Paul Lintier père est un radical-socialiste dont l’engagement au service de sa commune est encore aujourd’hui reconnu. Laïc convaincu il a beaucoup milité pour la loi de séparation des Eglises et de l’Etat en 1905. Veuf, il s’est remarié en 1892 avec Marthe, fille de son parrain en politique Ferdinand Lambert entrepreneur de travaux publics. Le couple aura deux enfants, Paul et une fille Marcelle. Il meurt subitement en 1910 pendant son mandat. Mayenne lui fera des funérailles grandioses.

Après l’école publique de Mayenne, Paul le fils, rejoint le lycée de Laval.

Là, il est l’hôte de la famille Tessier. Emile, le père, est professeur au Lycée. Son fils Raymond, condisciple de Paul Lintier se dirigera vers la carrière des armes. Saint-Cyrien promotion des Marie-Louise il est mobilisé en 1914 comme officier au 51e RI. En 1939 il commande un régiment de chars en 1939, et finit général de brigade.

 

Paul Lintier lui a choisi une toute autre voie. Le Droit d’abord, sans doute plus par obligation familiale que par goût. Baccalauréat en poche, il part pour la Faculté de Lyon où professe son oncle maternel Edouard Lambert. Ce dernier l’héberge dans son appartement rue Sully que le neveu partage avec ses deux fils dont l’ainé, René, étudiant en Droit lui aussi, connaitra le même sort fatal que son cousin. Mobilisé en 1916 au 134e RI il disparaitra en 1918 dans l’Oise.

 

 

 

 

 

Mais le jeune Lintier a surtout la fibre littéraire. En 1911, à dix-huit ans, il a déjà fait paraître Un propriétaire et divers autres menus récits petit recueil de contes qu’il dédie à la mémoire d’Emile Tessier. Très engagé dans la vie culturelle lyonnaise il devient rédacteur en chef de la revue Lyon-Etudiant et, le soir, fréquente un cercle d’artistes, peintres, écrivains et poètes en devenir réunis autour d’un singulier personnage dont il vient de faire la connaissance : Henri Béraud. Ce dernier raconte leur rencontre dans un de ses ouvrages autobiographiques, Qu’as-tu fait de ta jeunesse ?, qu’il faut lire. Béraud sera mobilisé comme lieutenant au 48e RAC.

En 1913, en même temps qu’il obtient sa licence en Droit Lintier publie Un Croquant. Au grand dam de son oncle Edouard, il renonce alors à une carrière de juriste toute tracée pour ne se consacrer qu’aux Lettres et, devançant l’appel, s’engage au 44e RAC du Mans, affecté à la 11e batterie dont un des officiers est le lieutenant de Mazenod qu’il retrouvera plus tard. Il y noie son ennui dans l’écriture.

Début 1914 parait la plaquette consacrée à leur ami peintre lyonnais Adrien Bas, préfacée par Henri Beraud.

 

 

 

 

Cependant, le 1er août 1914, par une chaude après midi, un événement aussi redouté qu’attendu vient rompre la monotonie de la vie de caserne, la mobilisation générale. Quelques heures plus tôt, il espérait encore. C’est la guerre ! On le sait ; tout le dit ; Il faudrait être fou pour ne pas croire à la guerre. Malgré tout, on se sent à peine ému : on ne croit pas. La guerre, la grande guerre européenne, ce n’est pas possible ! Pourquoi pas possible ? Le sang, l’argent, tant de sang, tant de sang ! Et puis, si souvent déjà on a dit : c’est la guerre, et c’était la paix qui continuait. La paix va continuer encore. L’Europe ne se changera pas en charnier parce qu’un archiduc autrichien s’est laissé assassiner. […] Toujours rien. Il est midi. On attend. Si cette fois encore ce n’était qu’une fausse alerte ! 

 

 

 

 

 

Sur ces mots débute Ma Pièce, premier opus qui vaudra à son auteur une célébrité qui, si elle reste relative, n’en est pas moins constante. Ce livre est une chronique à l’intérêt documentaire inégalé des événements et de la vie quotidienne d’une batterie de 75. Mais, dit Jean-Norton Cru, Lintier fait plus que nous renseigner sur l’artilleur : il nous révèle quelque chose d’essentiel sur le soldat, non pas seulement celui de cette guerre mais celui de toujours, quelque chose que personne n’a jamais exprimé plus complètement, plus éloquemment que lui. L’appréhension du lendemain, la hantise de la mort, le désir de voir briller le soleil du jour suivant.

Le mieux est encore de lire Ma Pièce qui nous fait revivre les étapes du parcours des régiments mayennais durant les deux premiers mois de la guerre. En effet, la 11e batterie du 44e RAC est une des constituantes de l’Artillerie du IVe Corps d’Armée dont fait partie la 8e division à forte composante mayennaise.

Le 22 septembre 1914 Paul Lintier est blessé à la main près de Fresnières. Alors qu’il court vers l’ambulance, le capitaine de Brisoult, commandant la batterie est tué à son poste. Lintier lui dédiera Ma Pièce. Au poste de secours on parle de l’amputer du pouce. Il s’enfuit vers une autre ambulance à Canny-sur-Matz. Il sauve son doigt et se retrouve chez lui, à l’hôpital de Mayenne où il rencontre Marcel Audibert, soldat du 102e RI, blessé le 15 septembre. Ce dernier deviendra un des premiers critiques littéraires au sein du Crapouillot de Jean Galtier-Boissière. Après la guerre, Marcel Audibert reprendra sa brillante carrière de magistrat.

Profitant d’une convalescence dans sa ville natale, Paul remplace le directeur de Mayenne-Journal, Victor Bridoux éditeur de Un propriétaire, mobilisé comme sergent-fourrier au 279e RI et publie dans la presse locale des petits textes ayant la guerre pour sujet.

Au dépôt où il attend sa réaffectation, Lintier est promu brigadier le 1er avril 1915 et retourne au front, d’abord dans une Section de Munitions. Il commence alors la rédaction d’un nouveau carnet qui deviendra Le Tube 1233.

Dans cet ultime ouvrage, il nous emmène en Champagne, sur les crêtes des Vosges alsaciennes battues par l’artillerie allemande, sur le front de la Seille si tranquille. Il nous fait assister à la mort de « Faine » de Belivier et enfin à la sienne.

 

 

 

 

 

 

Nommé Maréchal-des-Logis le 18 septembre 1915 il devient chef de la 2e pièce de la 29 batterie du 44e RAC commandée par le capitaine de Mazenod. Cette unité fait partie du groupe de renforcement, artillerie divisionnaire de la 129e division nouvellement crée.

C’est à ce poste qu’il sera tué le 15 mars 1916, dans un secteur réputé calme du front de Lorraine, près du village de Jeandelaincourt. Des circonstances de sa mort, nous avons plusieurs témoignages dont celui du capitaine de Mazenod dans Les Etapes du sacrifice. Préférons-lui cet inédit, extrait du carnet de Joseph Neveu, téléphoniste à la batterie.

 

 

 

 

 

Parmi les souvenirs de Joseph Neveu, une photographie troublante lorsqu’on relit la dernière page du Tube 1233. 

 

 

 

 

 

 

 

 

Par recoupement entre Le Tube 1233, Les étapes du sacrifice, le carnet de Joseph Neveu et le JMO du groupe ont peut raisonnablement déduire que Paul Lintier a été tué dans ce secteur.

 

 

 

 

 

 

Son corps est transporté à quelques kilomètres de là, à l’hôpital de Faulx. Il sera inhumé une première fois le 17 mars 1916 dans le cimetière de ce village. En 1921, sa famille souhaitera le ramener à Mayenne. Il y repose depuis, dans le caveau familial où l’attendait son père.

 

 

 

 

 

 

Son œuvre lui survivra. En 1917 Le Crapouillot annonce la parution du Tube 1233 et en publie en avant-première quelques extraits. Marcel Audibert rendra un vibrant hommage à l’œuvre de celui qui fut pendant quelques mois, son camarade de chambre à l’hôpital de Mayenne : Il forme avecMa Pièce un admirable diptyque, dont les deux pièces ont chacune leur originalité, mais avec un air de famille auquel on ne se trompe pas. Et pourtant il y a une dissemblance [...] Il y avait dans Ma Pièce un bel enthousiasme juvénile [...] le Tube 1233 est un livre plus grave, bien plus grave [...] C’est que depuis des mois, hélas ! LINTIER avait souffert. Ce qui restait en lui d’enthousiaste jeunesse avait fait place à une acceptation clairvoyante, grave et résignée, de la fatalité, quelle qu’elle dut être.

 

 

 

 

 

 

Contrairement à Ma Pièce, deux passages du Tube 1233 seront censurés. Qu’avait-il pu écrire qui justifie les coups de ciseaux d’Anastasie ? Rien de très dangereux au regard d’aujourd’hui,un instant de colère contre les embusqués des usines de fabrication d’obus, un moment de doute et de découragement.

 

 

 

 

 

 

La famille et les amis, sa sœur Marcelle, l’oncle Edouard Lambert et Henri Beraud en tête s’attacheront à faire connaître et reconnaître l’œuvre talentueuse de leur jeune parent et ami. Dans la presse, l’engouement sera considérable. L’écrivain Octave Mirbeau déclarera même un temps vouloir apporter sa voix à Ma Pièce pour le Prix Goncourt 1916. Dès cette année ce livre sera traduit en Espagne, puis à partir de 1917 en Angleterre, aux Etat-Unis, aux Pays-Bas, en Suède et au Danemark.

Aujourd’hui, même si le temps a un peu émoussé sa renommée, Paul Lintier garde une place de choix dans la bibliographie consacrée à la Grande Guerre.

 



05/11/2011
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