La mort de l'abbé Bertrand 2e partie

 

Nous avons déjà évoqué ici la fin tragique du lieutenant Bertrand, commandant la 5e compagnie du 124e RI lors de l'attaque d'Andéchy. Voici le témoignage du soldat Robert envoyé au curé de Saint-Germain-de-Coulamer peu après les combats et qui relate dans le détail ce que furent les dernières minutes du prêtre-soldat.

 

 

« Vous me demandez à quelle heure M. le lieutenant Bertrand a été blessé. Il était environ 10 heures du matin lorsque la compagnie est partie en avant. Le lieutenant était à droite de ma section qui est la première. Nous étions sur la droite le long de la route de Guerbigny à Andéchy, à 400 m des tranchées, à 600 mètres d'Andéchy, à 30 mètres de la route. Les balles et les obus tombaient à torrents. Vers midi, le lieutenant était à côté de moi, à ma gauche, couché sur le ventre, les bras croisés devant sa tête, et son sac sur la tête. Tout à coup, j'ai reçu de la terre en pleine figure. Je dis au lieutenant : « Nous ne sommes toujours pas encore morts, cette fois-ci ». A ce moment, il lève la tête et me dit : « C'est toi mon pauvre Robert, qui est là ? ». Je réponds :  « oui, mon lieutenant ». Il me dit : « Mon pauvre ami, emporte moi, je suis blessé ». Je lève la tête et me retourne vers lui. Le sang sortait gros comme le petit doigt provenant d'une balle qui lui a traversé la tête juste au milieu du front, un peu au dessus. A ce moment, je demande à un de mes camarades de l'emporter. Ce camarade, lui aussi, est tué, le pauvre malheureux, mais à ce moment, il n'avait rien. Il lève la tête, me regarde, et n'a pas osé se lever à cause des balles qui pleuvaient à torrent. A ce moment le lieutenant me dit : « Je suis perdu. Va dire au commandant, que le lieutenant V et moi sommes blessés ». Il fait alors demi tour à quatre pieds sur les mains et les genoux en me disant : « Mon pauvre Robert, je vois bien je vois bien que je suis perdu. Je vais aller pendant que je vais pouvoir ». Il a fait peut être dix mètres comme cela, moi le suivant à quatre pieds aussi. Voyant qu'il perdait trop de sang, je l'arrête. Je coupe les courroies de son sac, je lui couche la tête dessus et je lui fais son pansement. Je prends mon pansement que j'avais dans la poche de ma capote. Mais comme le sang jaillissait malgré cela, je lui ai lié la tête avec ma serviette de toilette. Là, le sang s'est tout de même collé. Je lui ai parlé, il ne m'a pas répondu. Comme l'on me visait toujours, je me suis couché à côté de lui. A ce moment, il râlait. J'ai été environ vingt minutes à côté de lui. Voyant qu'à ce temps il ne faisait plus signe de vie, là, je l'ai laissé. L'on m'a dit, le soir, que quelqu'un l'avait encore entendu. Pour moi, c'est faux. Nous sommes retournés le chercher, le soir. Il était bien mort. Le pauvre homme, c'était un père de famille pour nous ».

 

 

 

Un autre homme du 124 raconte à sa mère les funérailles de l'officier derrière la ligne de front.

 

 

« Nous avions comme lieutenant un prêtre nommé Bertrand. Il était sergent de réserve à la 6e compagnie, au début de la campagne. Il était devenu adjudant, sous-lieutenant, lieutenant à la 5e et était proposé pour le grade de capitaine. C'était un excellent garçon, très gentil et très aimé, d'une bravoure à toute épreuve. Le 4 novembre à l'attaque d'Andéchy, il fut tué.

Nous avons assisté aujourd'hui (7 novembre), à son enterrement dans le petit cimetière de Guerbigny. Je n'ai jamais assisté à une cérémonie aussi impressionnante. Toute la compagnie y était en armes, sans compter de nombreux autres soldats et des officiers. Il y eut un service religieux à l'église. Des bouquets avaient été disposés sur son cercueil. Nous l'avons conduit au cimetière. Un prêtre a fait un petit discours fort impressionnant, d'autant plus impressionnant que des batteries tiraient à ce moment sur des positions allemandes, et qu'on entendait le ronflement des obus sur nos têtes. Un officier de la 6e a fait également un discours.

Beaucoup de soldat pleuraient. Un vieux décoré de 1870 s'essuyait les yeux avec son mouchoir. Des habitants de la localité étaient venus assister à la cérémonie.

Ce spectacle m'a tellement impressionné qu'aussitôt arrivé au cantonnement où nous sommes rentré aujourd'hui, je me suis empressé de vous le raconter ».

 

 

 Sources :

 

- Semaine religieuse du Diocèse de Laval 1914

 

 

 

 



18/02/2012
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